Guérilla est un roman d’anticipation écrit par Laurent Obertone en 2016 et paru la même année. Le livre raconte les trois jours décisifs à l’instauration d’une guerre civile en France vu sous l’angle de vision de divers personnages. Le livre se veut choral et montre le point de vue de ces divers acteurs de la vie en France et annonce le début d’une grave descente aux enfers pour le pays tout entier, et pour le monde ensuite.
Nous avons découvert Laurent Obertone, journaliste et romancier de talent, avec la lecture de son ouvrage Guérilla, sous-titré « Le jour où tout s’embrasa ». Obertone n’est pas un doctrinaire et personne ne peut le qualifier d’idéologue. Pourquoi ? Parce qu’il base son travail rédactionnel et d’analyse sur des éléments circonstanciés.
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En effet, en lisant la quatrième de couverture, nous découvrons un aspect fondamental de son travail : « Les événements décrits dans Guérilla reposent sur le travail d’écoute, de détection et les prévisions du renseignement français ». Cependant, Obertone n’appuie pas ses nombreux écrits sur la seule étude de ses différents rapports. Il a aussi passé « deux ans d’immersion au contact d’agents des services spéciaux et des plus grands spécialistes de la terreur et des catastrophes ». La force de son récit tient au fait qu’il est extrêmement réaliste. Une fois commencé, il s’avère difficile de poser l’ouvrage sur la table de chevet.
Certes, la France décrite dans Guérilla n’est pas la France de 2020. Il s’agit d’une projection à moyen terme car il n’y a aucun élément futuriste de présenté. Le scénario se veut volontairement contemporain. Nous sommes en présence d’un livre d’anticipation. Celui-ci se compose de chapitres courts et percutants. Ils sont tous introduits par une citation qui indique clairement quel thème sera abordé. Ces citations donnent vraiment à réfléchir. Plusieurs ont retenu notre attention. Nous reproduisons celle du chapitre 34 qui semble parfaitement coller à notre époque : « Le remède salutaire est rarement de bon goût ; le médecin le plus doux n’est pas le meilleur » comme l’écrivait déjà en son temps Charles de Saint-Evremond.
La lecture ne présente aucune difficulté, bien au contraire. Les dialogues offrent des échanges crédibles et passionnants. Le rythme est haletant. Nous voulons constamment savoir ce qui se déroule à la page suivante. Conséquence nécessaire : le livre fut lu d’une seule traite. Les descriptions des décors, des personnages, la psychologie des différents protagonistes nous plongent littéralement dans cette France qui bascule dans « la guerre civile ». En découvrant les héros et leurs adversaires, nous pouvons parfois reconnaître des personnalités de notre époque. Nous rencontrons par exemple « ce militant identitaire, installé à Paris depuis quelques mois, par ailleurs spécialiste de jeux vidéo, qui tenait un blog de « réinformation », comme disait, sans jamais de guillemets, la presse officielle. Il passait ses journées à arpenter les ténèbres numériques, à agiter le spectre du carnage qui venait. Et précisément ce jour-là, il ne l’avait pas vu venir ».
Comme souvent, des actes communs donnent naissance à de grands événements historiques ou à des tragédies humaines. Dans notre histoire, l’étincelle provoquant l’embrasement propose une scène jouée en France des centaines de fois : « Un connard de brigadier s’était cru obligé de voler au secours de cette femme, habitant soi-disant au septième, qui avait appelé pour se dire en danger de mort, et dont on ne savait rien ». La suite se devine aisément car nous la lisons quotidiennement ou presque dans les journaux : « Et maintenant pour les beaux yeux d’un fantôme ils étaient là, encerclés par des barbares, qui rêvaient de les saigner ». Pourtant, les tuniques bleues avaient pris toutes les précautions d’usage : « Le brigadier avait demandé à l’autre équipage d’attendre à deux blocs d’ici, pour surveiller les voitures, pour ne pas que ça ressemble à une descente, c’est-à-dire, en langage d’ici, à une provocation ». Un guet-apens parmi tant d’autres à La Courneuve, un flic qui se défend, tire, la cité s’embrase, d’autres barres d’immeubles brûlent et cette France « orange mécanique » sombre littéralement dans le chaos.
Ce futur dystopique n’aurait pu être aussi réaliste sans une rencontre avec Zoé. Obertone ne pouvait pas faire l’impasse sur « cette blogueuse influente habitant le sixième arrondissement de Paris ». Toute similitude avec un journaliste ou autre relève forcément de la coïncidence. Qui est Zoé dans Guérilla ? Une jeune femme qui tient un blog, Le devoir de savoir, sous-titré Le Nombril de Zoé : « Elle passait son temps à s’y lamenter du malheur des autres. Ses écrits reflétaient une sorte de naïveté péremptoire, une bonté simple et grandiloquente, une insouciance très sûre d’elle, qui plaisait beaucoup à ses lecteur-rice-s. Elle parlait souvent de politique, de questions liées au genre, luttait contre l’islamophobie, les préjugés, le racisme, les expulsions, soutenait les jeunes, les zadistes, les féministes, les minorités, les LGBT ».
Dans ce livre, tout comme dans la réalité, quand le politiquement correct rencontre des « itinérants, ceux que l’on nommait jadis clandestins, puis sans-papiers, puis réfugiés, puis migrants », il se prend en pleine figure le retour du réel…
L’auteur décrit ce monde de demain, sans déni et sans aigreur, sans délectation non plus, mais parfois avec ironie. Ainsi, dans cette France minée par ce conflit interne, certains mécanismes bien connus entrent en scène après un attentat : « Emotion, indignation, manifestation, fermeté, petites bougies et pas d’amalgame ». Il ajoute non sans rire mais avec beaucoup de finesse : « Avant ça, il y avait eu Charlie, Paris, Nice, Rouen, Mantes, puis il y a eu le métro, les festivals, puis les attaques simultanées, puis les écoles, puis les centres commerciaux… Et pour l’instant, tout se terminait toujours par les mêmes chansons ». Dans le présent ou le futur, les mêmes causes produisent les mêmes effets.
Obertone décrit bien les différentes étapes qui s’enchaînent après le départ de l’incendie. Il y a toujours des gens qui ne veulent pas voir, se mentent à eux-mêmes, et désirent appliquer des pansements sur des jambes de bois. Ils ne veulent pas admettre ou ne se rendent pas compte que les maux de notre société sont bien trop profonds pour être réglés par les sentiments : « Des Brigades de l’Amour proposaient aux passants des câlins gratuits. La jeunesse, disait-on, s’inquiétait pour ses libertés fondamentales. Rivée à ses réseaux sociaux, elle se demandait ce qu’elle allait bien pouvoir s’empresser d’être, cette fois-ci, après Charlie, après Paris, après Auchan, et tout le reste. Je suis les jeunes ? Je suis la cité Taubira ? Vivement qu’on se décide ».
L’auteur décrypte parfaitement le comportement de nos nombreux compatriotes face aux événements terribles et inédits se déroulant sous nos yeux : « Parmi la foule, on préférait trahir sa conscience, plutôt que d’être suspecté de mal penser. Les délateurs citoyens étaient partout. On avait l’habitude d’adapter ses postures aux circonstances. Ceux qui parlaient de lâcheté, pour la plupart, se mentaient à eux-mêmes. Car presque tous étaient comme ça ». Le syndrome de Stockholm se voit ici parfaitement illustré. Mais ce n’est pas tout. Une autre scène a retenu notre attention : « Un reportage montrait un rassemblement place de la République, en soutien aux itinérants. Une foule brandissait des pancartes « Refugees Welcome » et scandait : « Remplacez-nous ! Remplacez-nous ! » Peut-être qu’un jour prochain, nous assisterons à ce genre d’événement en France…
En plus de certaines considérations politiques et sociales essentielles que l’auteur évoque pour forcer le lecteur à la réflexion, il tente de nous montrer ce que serait une France livrée au chaos. Cela signifie plusieurs choses : les pompes à essence ne sont pas approvisionnées, le réseau électrique est mort, donc pas d’internet et de téléphone, et les forces de l’ordre entrent en totale décomposition, pendant que des villes entières sont livrées à la violence et au pillage. L’ouvrage de Laurent Obertone nous offre un récit puissant, rondement mené car percutant et agressif dans le bon sens du terme. Quoiqu’on pense de la thèse de l’effondrement politique ou économique à venir, l’auteur traque les fractures que permet le gouvernement républicain : communautarismes, délinquance galopante, zones de non-droit, renoncements et lâchetés politiques au nom de la bien-pensance, du politiquement correct et du vivre ensemble.
Au milieu de ce chaos total, certains écriront apocalyptique, vous découvrirez, Vincent Gite, le militant identitaire déterminé ; Renaud et Léa Lorenzino, le couple d’intellectuels parisiens ; Aboubakar, le calife auto-proclamé de la Seine Saint Denis ; Damien Bernard le comptable de banlieue bloqué en rase campagne – et bien d’autres surprises. Quand l’Etat s’effondre, la guerre du tous contre tous prend le relais, et l’homme, qui est animal politique selon Aristote, peut alors sombrer dans « Le Temps des Barbares » …