Ignace Philippe Semmelweis est un médecin, botaniste, professeur d’université et gynécologue hongrois. Il est notamment connu pour avoir mis en avant l’importance du lavage des mains chez les médecins.
Né à Ofen (nom allemand de Buda qui deviendra Budapest) le 1 juillet 1818, Semmelweis est destiné par son père à devenir avocat militaire au service de l’administration autrichienne. Il fit donc son droit à l’Université de Pest puis à celle de Vienne, ville qu’il exécrait. Durant son passage à Vienne, un ami de Semmelweis l’emmena « au spectacle » assister à l’autopsie d’une femme morte de la fièvre puerpérale et réalisée par le professeur Carl Von Rokitansky. Sa destinée en fut changée et Semmelweis alla s’inscrire en médecine. Il écrivit une thèse portant sur les vertus thérapeutiques des plantes médicinales et obtint une maîtrise en obstétrique pratique. Peu après il compléta sa formation auprès du médecin Skoda avec lequel il apprendra les méthodes de diagnostic et la statistique. Enfin il intégrera l’hôpital général de Vienne en tant que médecin.
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Un chef de clinique à l’hôpital de Vienne
En 1946, Semmelweis devient chef de clinique auprès du professeur Klein. Au sein de sa clinique les femmes enceintes ont la mauvaise habitude de mourir plus que dans toute autre clinique de la ville. La clinique du professeur Bartsch par exemple, jointe à la clinique de Klein, recense un total de 3 % de mères mortes contre 40 % chez Klein ! Cette situation est connue par la population et on raconte que si Klein devait vous accoucher, il valait mieux accoucher seule dans la rue…
Face à ce drame Semmelweis se questionne. Quelle peut être la cause de la mortalité chez Klein ? Prenant en compte tous les phénomènes des plus fantasques aux plus réalistes, Semmelweis enquête. Ce serait l’air putride de la ville qui charrierait des maladies. Peut-être une épidémie ? Mais ces explications ne tiennent pas la route. Peu à peu Semmelweis prend en compte un point intéressant, des étudiants en médecine pratiquent les accouchements chez Klein tandis que ce sont des sages-femmes chez Bartsch. Peut-être que les étudiants en médecine sont de nature plus brusque que les sages-femmes et entraînent ainsi des morts inopinées ? Semmelweis tente une expérience et envoie les étudiants en médecine chez Bartsch et les sages-femmes chez Klein. Miracle (ou catastrophe?), le nombre de morts chez Bartsch est multiplié tandis que chez Klein le nombre ne cesse de diminuer. C’est une découverte majeure. Mais en génie qu’il est, Semmelweis reste insatisfait. La solution est trop simple et évidente.
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L’importance de se laver les mains
Pendant que Semmelweis réfléchit de plus belle, les étudiants réintègrent la clinique de Klein et les sages-femmes celle de Bartsch. Le nombre de morts augmente de nouveau chez Klein. Rien n’a changé. Semmelweis ne viendra à bout de ce mystère qu’en 1857. En cette année l’un de ses amis, Kolletschka, meurt d’une maladie semblable à la fièvre puerpérale touchant les femmes enceintes. Après un moment Semmelweis découvre que son ami s’était coupé, durant une autopsie, avec son bistouri. Les « particules invisibles » létales (selon le terme de Semmelweis) présentes sur les cadavres et en contact avec la coupure seraient selon lui à l’origine du problème. Les étudiants en médecine pratiquants des autopsies en matinée ne se lavaient pas les mains et apportaient ces « particules invisibles » au sein du corps de femmes enceintes en leur faisant des touchés vaginaux. Tout s’expliquait !
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Semmelweis conseilla et ordonna même aux médecins et étudiants en médecine un lavage des mains systématique avec une solution de chlorure de chaux, proche de l’eau de javel, pendant 5 minutes et entre chaque patiente. De plus il demanda la stérilisation des outils médicaux. Allant à l’encontre de la volonté des étudiants de ne pas avoir à répéter ce geste rébarbatif sans cesse et contre l’avis des médecins qui ne souhaitaient pas se faire apprendre la médecine par un nouveau venu, Semmelweis devint le paria de sa profession.
Un médecin qui sombra dans la folie
Son caractère n’arrangeait rien. Il refusa de publier des travaux portant sur ses découvertes durant des années et insulta tous ceux qui ne pratiquaient pas sa méthode de protection contre les « particules invisibles » les déclarant assassins de leur état : « Ma découverte, hélas, dépend des accoucheurs. Assassins, je les appellent tous ceux qui s’élèvent contre les règles que j’ai prescrites pour éviter la fièvre puerpérale ». Peu à peu Semmelweis sombra dans la folie. Folie du génie qui sait que sa découverte devrait être acclamée plutôt que raillée, folie du médecin qui ne supporte pas de voir la mort de patients, folie de l’homme devenu le médecin le moins reconnu de la profession. Il sera interné à Vienne en 1865 et mourra probablement battu par ses geôliers.
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S’appuyant sur la phrase de Marguerite Yourcenar qui déclarait que « C’est avoir tort que d’avoir raison trop tôt », nous pouvons dire qu’Ignace Philippe Semmelweis fut l’un des nombreux médecins immolés sur l’autel de la science au nom de l’ego, du désintérêt ou même de l’intérêt qu’ont eu d’autres médecins sur la découverte. Père de l’aseptise, cet homme restera dans nos mémoires comme celui qui a combattu pour la vie quand la doxa se complaisait allègrement dans la culture de la mort.
Notre société actuelle n’est hélas pas exempte de ces travers. Bien au contraire, les forces de l’ego n’ont jamais été aussi fortes que sous l’ère du numérique et des réseaux sociaux. De plus la manne financière et les lobbies ajoutent du grotesque au grotesque. La médecine devient une affaire de profit et non plus une affaire de santé. En cette période hélas trop préoccupée par ces sujets sinistres rappelons ce principe d’Hippocrate énoncé dans Épidémies : « Primum non nocere », « d’abord, ne pas nuire ».