L’Emeute est, comme le sous-titre l’indique, un roman sur le 6 Février 1934. Dès les premières lignes de son avant-propos, l’auteur pose une question à laquelle bien des historiens ont tenté d’apporter une réponse : « L’Histoire repasse-t-elle ou non les plats ? ». Pour quelles raisons Guillarme nous soumet-il cette interrogation ?
Il nous livre cette explication : « Depuis le début de la crise dite désormais historiquement des Gilets Jaunes, on n’a pas manqué de part et d’autre de chercher dans l’Histoire de France le modèle d’un événement si extraordinaire qu’il semble avoir pris de court et stupéfié pour bien longtemps nos intellectuels A.O.C. »
Il est vrai que la grande majorité des dits intellectuels de notre époque ne méritent pas ce titre. Quant à la minorité qui n’a pas usurpé ce statut, force est de constater qu’elle ne brille pas par sa capacité à prévoir ou plus exactement à analyser les phénomènes sociaux et politiques de notre temps. Les intellectuels ayant correctement analysé les causes et les conséquences de ces « événements » n’appartiennent pas à la Nomenklatura.
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De fait, l’auteur fustige celles et ceux qui ont « évoqué le mouvement de mai 68 » comme référence des Gilets Jaunes. D’autres ont parlé de similitudes avec les Bonnets Rouges. En définitive, tout le monde opère des rapprochements, non pas selon un cadre intellectuel dénué d’idéologie, mais en fonction des idées défendues ici ou là, et rarement en allant au-delà des cinquante ou soixante dernières années. L’auteur rappelle que « Christophe Castaner fut l’un des premiers à pousser des cris d’orfraie et à oser le rapprochement… » avec les humeurs du 6 février 1934 !
Cette posture confirme le propos que nous développions plus haut : l’ancien ministre de l’Intérieur n’a pas produit une analyse objective de la situation, mais il est tombé dans le jeu des petits phrases politiciennes qui rabaissent la politique à des querelles de caniveau. Quoiqu’on pense des Gilets Jaunes quant à la pertinence de leurs actions et de leurs revendications, il faut vraiment ne pas être un fin connaisseur de la politique française et de l’Histoire de France pour opérer une comparaison entre ces deux mouvements, très différents sur la forme et le fond, dont l’un a duré un jour, et l’autre a continué plus d’un an après son lancement.
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Dans le même ordre d’idées, Guillarme cite Emmanuel Macron, qui avait déclaré le 1er septembre 2018 : « Je suis frappé par la ressemblance entre le moment que nous vivons et celui de l’entre-deux-guerres ». Proclamer cela, en tant que Président de la République, revient à montrer sa méconnaissance de l’Histoire et les raisons qui ont poussé des milliers de Français à manifester dans la rue chaque samedi ou presque pendant 2 ans.
L’auteur estime « qu’on ne peut pas comparer les revendications des Français d’aujourd’hui concernant le pouvoir d’achat à la volonté de redressement moral de la France qui poussait les anciens combattants de droite comme de gauche, dans la rue, ce soir du 6 février 1934 ». Pour autant, Guillarme considère malgré tout que si « l’Histoire de repasse pas les plats, il y a tout de même en France des fièvres qui ne passent pas ».
L’auteur nous offre un roman historique racontant les événements de cette journée si particulière. Il nous présente une vaste et intéressante galerie de personnages : militants marxistes, socialistes, orléanistes, royalistes, légitimistes, hommes politiques, gardes mobiles… Nous voyons, entre autres, Pujo, Maurras et Daladier agir, réfléchir et douter. Guillarme arrive à nous communiquer l’atmosphère du 6 février 1934 en produisant beaucoup de références historiques et en faisant plusieurs clins d’œil, parfois sympathiques, drôles ou acerbes.
Il nous narre aussi une séance parlementaire au Palais Bourbon et décrit le trouble de Daladier qui « monte à la tribune comme on monte à l’échafaud ». Guillarme raconte également les réactions des forces de l’ordre et nous offre ainsi une immersion très vivante. L’ensemble du récit nous permet d’avoir les différents points de vue des nombreux protagonistes qui s’affrontent en ce mardi de février. Finalement, cette journée de manifestation dont le mot d’ordre était : « A bas les voleurs ! A bas les assassins ! Exiger la justice et l’honneur » tourne à l’émeute, fait 15 morts et 2000 blessés le jour même. Elle entraîne la chute du second gouvernement Daladier. Il y aura une trentaine de morts supplémentaires en comptant les décès ultérieurs. L’affaire Stavisky (1) avait donné de l’écho à toutes ces protestations, car elle confirmait la crise d’un régime instable soupçonné de corruption, de malversations et de détournements financiers majeurs.
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L’auteur nous délivre beaucoup d’idées personnelles sur le sens de la vie, sa vision de l’Homme et de la Femme et de leurs rapports, l’amitié, l’engagement politique, les relations entre les militants. Ce dernier aspect respire le vécu… Il évoque également la royauté, la religion et le combat politique. Nous sommes en présence d’un roman historique et intimiste très intéressant, parce qu’il explore les ressorts de l’âme humaine en prenant appui sur un événement historique fort méconnu.
En fin de compte, la question n’est pas tant de savoir si cette action aurait pu amener la chute de la Troisième République que de comprendre les raisons de cette manifestation antiparlementaire. L’histoire reste le théâtre de l’imprévu et comme l’a écrit Blaise Pascal dans les Pensées « Le nez de Cléopâtre s’il eût été plus court toute la face de la terre aurait changé ». Chacun l’aura compris, les petites causes produisent souvent de grands effets…
(1) L’affaire Stavisky est une crise politico-économique française survenue en janvier 1934, succédant au décès dans des circonstances mystérieuses de l’escroc Alexandre Stavisky.