David de Mayrena : un aventurier français devenu «roi des Sédangs»
Publié le 24/01/2023
Marie-Charles David de Mayrena est un militaire, aventurier et escroc français. Particulièrement célèbre pour sa vie de conquérant du XIXe siècle, il s’autoproclama « roi des Sédangs », région peu hospitalière d’Indochine.
Conquérir un territoire et s’autoproclamer roi, c’est le rêve fou qu’a réussi à réaliser Mayrena. Une histoire de découverte d’une terre asiatique presque inconnue dans une époque où l’exploration et la conquête du monde faisait rêver l’Occident. Une épopée folle guidée par un désir d’aventure couplé d’escroqueries, de trafics et de mythomanie. Une vie d’un homme impulsif, véritable tête brûlée, traceur de nouvelles routes parfois dangereuses mais néanmoins utiles dont la France a su voir son intérêt dans cette partie du monde peu connue des Français.
De la conquête de la Cochinchine à la guerre de 1870
Né le 31 janvier 1842 à Toulon, Auguste-Jean-Baptiste-Marie-Charles David grandit dans une famille de fonctionnaires. Il perd son père officier de marine très jeune et se retrouve élevé par sa mère. Attiré par le métier des armes et désireux de suivre la voie de son père, il tente le concours d’entrée de la prestigieuse École Navale auquel il échoue. A 17 ans, il s’engage dans un régiment de dragons en 1859 puis rejoins les Cuirassiers.
En 1863, il s’embarque pour la Cochinchine et obtient ses galons d’officier dans un régiment de Spahis. Là-bas, il participe avec les troupes françaises à l’annexion et la pacification de ces territoires. En 1868, il quitte l’armée et rentre en France. De cette expérience sur une terre qu’il aimera particulièrement, il publiera Souvenirs de la Cochinchine relatant ses 5 années d’aventures asiatiques. Mais la guerre de 1870 le rattrape. Il est promu capitaine, est blessé et reçoit la Légion d’honneur.
Retour en Indochine
La guerre terminée, il reprend sa vie mondaine et fréquente les cabarets de la capitale à la recherche d’opportunités. Il essaye une aventure de banquier mais accusé de détournement, il fuit en Hollande en 1883. De-là, il s’embarque pour les Indes néerlandaise où il arrive en septembre de la même année sans argent. A son compagnon de voyage il déclare sa faillite. Ce dernier, lui propose de venir habiter chez ses parents qui au bout de plusieurs semaines demandent aux autorités locales de plus amples renseignements sur le personnage. En août 1884, Mayrena est expulsé vers la France. De retour sur le territoire national, il tente de nouveaux de monter différentes affaires qui, comme les précédentes, ne fonctionnent pas véritablement.
Un de ses désirs est de retourner en Asie. Il obtient du richissime baron Seillière, une enveloppe suffisamment conséquente pour financer une expédition scientifique en Indonésie. Il parvient à obtenir une lettre de recommandation du ministre de la marine et des colonies qui précisent son statut « d’envoyé officiel ». Hier vagabond et escroc, quelques semaines plus tard, le voici financé et recommandé par les plus hautes autorités de l’État français. Arrivé à Saïgon (le « Paris de l’Orient »), il dilapide l’argent du baron et se voit soupçonner de réaliser différents trafics dont celui des armes. Il en profite pour mener une vie de bluff et se verra surnommer « l’explorateur de théâtre ». La mission scientifique est un échec. Néanmoins, il organise différentes expéditions de chasse et parvient à rapporter du renseignement aux Français à l’époque de l’insurrection de l’Annam en 1885.
En direction des haut-plateaux
A la suite de ses expéditions, Mayrena insiste auprès des autorités françaises pour mener des recherches dans les hauts plateaux du pays des Moïs. Une région peu hospitalière pour les Européens dont les populations locales guerrières et animistes vivent de la chasse, croient aux esprits de la forêt et pratiquent l’esclavage. Une aubaine pour l’ancien officier qui y voit un moyen de s’aventurer dans des contrées presque qu’inconnues loin des fonctionnaires français tel un conquistador libre de tous mouvements. Néanmoins, conscient de la situation géopolitique, il souhaite démontrer la nécessité de la présence de la France dans cette zone face à l’influence britannique et allemande afin d’obtenir un financement. La France ne souhaite pas emmener l’armée dans cette zone explosive.
Il parvient à faire financer son expédition via l’entremise du gouverneur général d’Indochine qui y voit une manière intéressante de faire avancer la présence française de manière pacifique. Malgré quelques hésitations sur la personne de Mayrena, il accepte en considérant qu’il dispose des qualités requises d’un chef : 1m85, physique robuste, tempérament bien trempé, énergique, meneur d’hommes malgré sa cupidité. Mais il fixe néanmoins les règles : si l’expédition est un succès, la France s’y implantera tandis que dans le cas contraire, elle désavouera la mission. Outre la découverte du territoire, le plan officiel consiste à se faire accepter par la population en faisant reconnaître l’autorité de Mayrena puis à la céder aux autorités françaises en échange de l’exploitation économique de la région supposée détenir de fer et de l’or.
« Roi des Sédangs »
En 1888, grâce à l’octroi de quelques financements permettant de payer 80 porteurs, 15 tirailleurs matas saïgonnais et un traducteur, l’expédition s’élance. Quelques chinois attirés par les potentielles mines d’or viennent se rajouter au groupe. Dans le pays, Mayrena s’appuie sur les missionnaires catholiques arrivées 30 ans auparavant. Tels des moines-soldats, ils vivent au milieu des populations, se retrouvaient parfois malades, isolés, menacés sans qu’aucun secours ne leur parvienne. Ce sont les seuls occidentaux à connaître le pays, à entretenir des rapports amicaux avec un grand nombre de tribus locales et à bénéficier d’une grande influence. Avec une lettre de recommandation de l’évêque de la mission, il parvient à s’attirer les bonnes grâces des populations. Pour les autres, il n’hésitera pas à se battre en combat singulier.
A dos d’éléphant, il traverse ces zones reculées habillé de son dolman d’officier de hussard. Sous son grand uniforme, il cache une cote de mail sur laquelle se brisent les flèches qu’il reçoit. Son énergie, son style et sa carrure lui permettent d’assoir un prestige conséquent auprès de la population qui le prend pour un demi-dieu. Son audace fonctionne. Il négocie des projets d’alliance, impose aux tribus la paix, communique sur ses avancées avec le gouverneur général français dont il demande sans cesse l’aide. Allant au-delà des espérances françaises, Mayrena est nommé « roi des Sédangs », la tribu la plus imposante et redoutable, sous le nom de Marie Ier. Il instaure une constitution, interdit le sacrifice humain, crée une armée de 20 000 hommes dont il devient le chef, impose la liberté religieuse, un drapeau et l’ensemble des attributs caractérisant la souveraineté d’un État.
Une fin tragique
Son royaume installée, Mayrena tente de développer le volet diplomatique en le faisant reconnaître par les autres États. Pour cela, il retourne en Indochine en 1889 et demande officiellement la reconnaissance de son royaume par la France auprès du gouverneur général. Essuyant un refus, il s’embarque vers la Métropole persuadé d’obtenir davantage de soutiens dans les réseaux mondains de la capitale. Il s’adonne à la vie parisienne de salon, vend des titres de propriété à quelques bourgeois en manque d’aventures et de titres nobiliaires, donne des entretiens à la presse. Certaines rédactions le soutiennent. Mais ce n’est pas sans compter une autre partie de la presse qui remet en cause les propos du nouveau roi. Il se rend à Bruxelles et trouve le financement nécessaire pour rentrer dans son royaume.
En avril 1890, lors de son escale à Singapour, il est convoqué par le résident qui lui annonce la fin de son royaume que les Français occupent désormais. Sa venue en Indochine n’est pas la bienvenue. Les discussions autour du royaume du Sédang donnent lieu à de vifs échanges au sein de l’administration française qui accuse les missionnaires d’avoir provoqué la création de ce royaume. Mayrena n’aurait rien pu faire sans eux. Tandis que les Pères rappellent le soutien de l’administration elle-même dans la démarche de l’officier qui s’est retrouvé sans directive précise. Isolé, Mayrena se retire en Malaisie où il vend des nids d’hirondelles aux commerçants chinois. Fatigué et abandonné de tous, sa santé physique et psychologique se détériore peu à peu. Il meurt le 11 novembre 1890. Aujourd’hui, dans son ancien royaume, rien ne reste de son passage. Un coup de vent a balayé son histoire.
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