Marie-Madeleine Fourcade (1909-1989) a été responsable de l'un des plus importants réseaux de résistance : Alliance.

Seule femme en charge du renseignement militaire au sein de la Résistance, Marie-Madeleine Fourcade s’est hissée, à seulement trente ans, au sommet du réseau Alliance et de ses 3 000 membres. Mère de famille et dirigeante de presse, libre et engagée, elle mena, durant une grande partie de la Seconde Guerre mondiale, une « Arche de Noé » au service de la France.

 

Marie-Madeleine Fourcade est née le 8 novembre 1909 à Marseille. Son père, directeur des Messageries maritimes françaises à Shanghai et membre du 2ème Bureau, y est rejoint par sa femme et ses enfants, choix original pour l’époque. La fratrie y reçoit une éducation moderne et cosmopolite : tandis qu’une amah leur enseigne la culture chinoise, une institutrice anglaise leur permet une émancipation précoce, due à la place tout à fait particulière qu’occupent les femmes au sein de la société britannique. Elevée dans la conscience du Premier conflit mondial, qui ne la touche en réalité que de loin, Marie-Madeleine (née Bridou) développe dès l’enfance un très fort attachement à sa patrie.

 

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Orpheline de père dès 1922, elle intègre le couvent des Oiseaux à Paris, puis l’Ecole normale de musique, y étudiant le piano. Mariée à dix-sept ans au capitaine Edouard-Jean Méric, elle le suit au Maroc en 1925. Suivant son mari dans le bled, elle apprend l’arabe, l’équitation, la conduite automobile, les soins d’urgence et d’accouchement et gagne le respect des caïds et des femmes indigènes. Libre et féminine, elle marque les réceptions de l’état-major stationné à Rabat mais rentre dès 1933 à Paris, avec ses deux enfants, séparée de son mari. Rue Vanneau, elle mène une vie agréable, au cours de laquelle elle obtient une licence de pilote ainsi qu’un emploi à Radio-Cité comme publiciste, où elle côtoie Colette.

 

Rencontre avec Georges Loustaunau-Lacau

Fréquentant les salons catholiques parisiens, elle assiste chez sa sœur, Yvonne Georges-Picot, aux échanges qui opposent les deux grands officiers du temps, issus de la même promotion de l’Ecole de guerre, Charles de Gaulle et Georges Loustaunau-Lacau. Séduit par la personnalité de Marie-Madeleine Méric, qui n’hésite pas à intervenir lors des discussions stratégiques, ce dernier demande à la rencontrer. Persuadé que « nous allons être confrontés à une Seconde Guerre mondiale et [qu’]il faut s’y préparer », Georges Loustaunau-Lacau tait ses activités à la tête du réseau Corvignolles, qui chasse les communistes évoluant au sein des armées et lui présente son ambition de créer un réseau de renseignement en Belgique, en Suisse et en Allemagne.

 

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La publiciste de Radio-Cité, propriétaire d’une Traction Avant 11 chevaux, est toute indiquée pour établir des contacts avec des informateurs et ainsi prendre le pouls du pays. Très efficace, Marie-Madeleine Méric gère également le groupe de presse de l’officier, La Spirale, notamment orienté vers la propagande anticommuniste et antiallemande. En trois ans, elle s’impose auprès de Loustaunau-Lacau, qui la décrit ainsi : « Elle est le chef d’état-major, le pivot sans lequel rien ne peut tourner : elle a une mémoire d’éléphant, une prudence de serpent, un instinct de fouine, une persévérance de taupe et elle peut être méchante comme une panthère ».

 

Un Hérisson à la tête de l’Arche de Noé

En juin 1940, Marie-Madeleine Méric confie ses enfants à sa mère et rejoint, dans les Pyrénées-Atlantiques, « Navarre », Georges Loustaunau-Lacau, évadé et Châlons-sur-Marne. Se pose alors la question de l’entrée de chacun dans « l’Armée des Ombres ». Après un contact décevant avec le général de Gaulle, elle s’infiltre au sein des administrations déplacées à Vichy dans le double but de constituer des PC de renseignement opérationnels ainsi que de récolter des fonds. Fin 1940, le « réseau SR Alliance » passe dans la clandestinité totale et le quartier général déménage à Pau.

Dès l’été 1941, Marie-Madeleine Méric change de dimension : « Navarre » condamné à de la prison ferme pour avoir tenté de faire entrer l’Armée d’Afrique en dissidence, elle informe Londres et l’Intelligence Service, par un télégramme rédigé au masculin, qu’elle prend la tête du réseau. En octobre, les six premiers émetteurs livrés par les Britanniques sont en fonction. Liant des contacts avec l’ambassade de France à Madrid, elle surprend, comme femme, le monde des renseignements, qui lui fait cependant confiance du fait de ses résultats dans l’organisation du plus grand réseau en lien avec l’Intelligence Service. Elle y emploi de nombreuses femmes et y développe des couvertures inspirées de noms d’animaux : le groupe mené par « Hérisson » est surnommé par les Allemands « l’Arche de Noé ».

 

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A une époque où un chef de réseau ne reste en place qu’en moyenne six mois, elle part pour Londres en juillet 1943, après trente-deux mois de commandement. Sommée de rester en Angleterre, où sa connaissance des organisations clandestines est requise, elle assiste à l’hécatombe qui atteint le BCRA, au sein duquel « Alliance » se fond en mars 1944. Les sections du réseau en Bretagne et en Méditerranée procurent d’importants renseignements à la Royal Navy, qui protège ses opérations des U-Boot. Une carte détaillée de dix-sept mètres de long détaillant les défenses allemandes sur les côtes normandes est apportée par l’un de ses agents à l’état-major britannique qui s’étonne du niveau de précision fourni.

 

Retour en France : l’honneur dans l’horreur

En mars 1944, le MI6 informe Marie-Madeleine Méric qu’elle est autorisée à rejoindre la France, sous deux identités, qu’elle incarne en se grimant. Se rendant à Aix-en-Provence afin de préparer le prochain débarquement, elle est victime d’une rafle de grande ampleur : refusant de s’adresser à quelqu’un d’autre que le responsable de la Gestapo, elle gagne une nuit. Extrêmement amaigrie, elle parvient à se faufiler entre les barreaux de sa cellule et s’enfuie, pieds nus, dans la campagne. Rejoignant des amis, elle est informée de la vague d’assassinats qui marque les prisons : dans la panique des débarquements de Provence et de Normandie les Allemands liquident tous les suspects qu’ils détiennent. Au volant d’une ambulance de la Croix-Rouge, « Hérisson » suit de près l’avancée américaine dans l’espoir de retrouver les membres de son réseau.

Sur le millier de membres du réseau Alliance arrêtés, 438 disparaîtront. Avec grande dignité, Marie-Madelaine Méric affronte les deuils successifs : « J’ai été couverte de honte toute au long de l’occupation par le manque de moyens qui m’empêchaient de sauver mes amis incarcérés. On finissait par admettre sauvagement l’inéluctable : un homme pris était un homme perdu ».

 

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La vie de cette « inclassable » résistante ne s’est pas arrêtée en 1945. Le 20 novembre 1947, elle épouse l’homme d’affaires et Français Libre Hubert Fourcade, qu’elle avait rencontré à Londres, ce qui la rapproche de la nouvelle société gaulliste. Marie-Madeleine Fourcade poursuit, quelques années après-guerre, son travail de renseignement au profit du MI6, portant son attention sur les réseaux communistes. En 1957, elle est présentée à Elisabeth II pour ses actions en faveur du renseignement britannique, à la demande du monarque. La biographie que lui consacre en 2024 Sylvette Dionisi témoigne d’un engagement sans faille : animatrice de La Voix de la Résistance, elle préside la Comité d’action de la Résistance et s’engage politiquement en faveur du gaullisme.

Décédée à près de 80 ans au Val-de-Grâce, Marie-Madeleine Fourcade bénéficie, par l’intermédiaire du ministre de la Défense, Jean-Pierre Chevènement, d’une dérogation lui ouvrant le droit à des funérailles aux Invalides : elle est la première femme honorée en ce lieu. Durant l’homélie prononcée par le révérend Père Riquet, furent exaltée un esprit de Résistance hors du commun ainsi qu’une féminité sublimée par l’engagement : « Admirable exemple d’un courage viril en cœur de femme, elle s’est dépensée jusqu’à son dernier souffle pour sauvegarder la mémoire des héros de l’Armée des ombres, mais également venir en aide à leurs veuves et à leurs orphelins ainsi qu’aux rescapés et handicapés […]. Elle avait le don des mots qui réconcilient et qui entraînent, avec la finesse et la grâce de sa féminité que la guerre n’avait pas compromise ».

Avec Libre et résistante. Marie-Madeleine Fourcade. L’inclassable, l’auteur poursuit un nécessaire devoir de mémoire, renouvelant au profit du grand public les précieux souvenirs de cette résistante de premier plan, publiés en 1968 sous le titre L’Arche de Noé. Sylvette Dionisi est présidente de Res Femina, association créée en 2009 afin de promouvoir l’engagement citoyen des femmes dans la sphère publique et politique.

 

Sylvette Dionisi, Libre et résistante. Marie-Madeleine Fourcade. L’inclassable. Paris, Les éditions du Cerf, mai 2024, 239 p.

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1 thought on “Marie-Madeleine Fourcade : libre, résistante et inclassable

  1. Vous dites « En octobre [1941], les six premiers émetteurs livrés par les Britanniques sont en fonction », s’agit-il du livre de Sylvette Dionisi, « Libre et résistante. Marie-Madeleine Fourcade. L’inclassable », sur ma marraine ?
    En avril 1941, mon père a offert à Loustaunau-Lacau un ou plusieurs postes de radio.

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