Les vignes produisant le Jordan River Wines sur le plateau de Mafraq

Relancer et placer leur vin sur les plus belles tables d’Europe, c’est le défi de deux familles chrétiennes de Jordanie œuvrant depuis quelques décennies à faire renaître de ses cendres une industrie viticole disparue depuis 1 500 ans.

 

Qui peut se vanter de savoir que la Jordanie figure parmi les « nouveaux » pays producteurs de vin ? Qui connaît le Machaerus, le Saint-George, le Jordan River ou encore le Mount Nebo ? Bien peu de monde. Dans cette région du Proche-Orient, la viticulture a émergé il y a plusieurs milliers d’années avec les Nabatéens à Pétra, dont 82 sites de production ont été découverts récemment, avant de connaître son apogée durant l’époque byzantine au VIIème siècle avec l’apparition de l’Islam. La culture du vin remonte ainsi aux temps bibliques. C’est dans le village d’Umm Qais dans le Nord de la Jordanie par exemple, que le vin servi par Jésus à ses disciples lors de la Cène, provient. C’est dans cette perspective de renouer avec cette tradition, ensevelie depuis des siècles, que deux familles chrétiennes ont décidé, il y a plusieurs décennies déjà, de relancer cette culture.

 

Un savoir-faire chrétien

D’un côté, la famille Haddad, de l’autre, la famille Zumot. Toutes deux ont la particularité d’être les deux seules familles chrétiennes de Jordanie à produire du vin sur cette partie de la Terre Sainte. Leur rêve ? Placer leur vin sur les plus belles tables d’Europe.

C’est en 1975 à Zarka, près d’Amman, que l’aventure viticole de la famille Haddad démarre avec la première cave jordanienne : Jordan River Wines. A l’origine, les cépages sont cultivés à Soueïda au Sud de la Syrie et mis en bouteille dans les locaux de la société. Ce n’est qu’en 2002 que le groupe familial plante, sur un espace de 120 hectares, ses premières variétés de vignes importées de France, d’Espagne et d’Italie, sur le plateau de Mafraq à 840 mètres d’altitude. Deux années se passent et la première récolte se fait en 2004. Aujourd’hui, Jordan River Wines produit annuellement quelques 500 000 bouteilles, dont 90% est destiné au marché local, le tout sans pesticides ni produits chimiques. Avec 45 cépages différents et 96 prix viticoles, JRW commence doucement à exporter quelques caisses en Australie, aux États-Unis et même en France.

C’est sur les 250 hectares de vignes plantés en 1996 sur les terres de Mafraq, que l’aventure viticole commence pour la famille Zumot. Produit à 600 mètres d’altitude dans la plaine d’Oran, le vin est cultivé de façon biologique, sans ajout de pesticide ni de nutriment artificiel. L’histoire d’une des marques de la société, Saint-Georges, remonte à quelques années, à l’époque où la famille exploitait un lopin de terre près de l’église Saint-Georges à Madaba, une ville chrétienne au sud d’Amman, non loin du célèbre Mont Nébo. La production annuelle tourne autour de 200 000 à 300 000 bouteilles provenant de 30 cépages différents originaires de France, d’Italie et du Portugal. Le tout est stocké dans des centaines de tonneaux en chêne français. Comme sa concurrente, 90% de sa production est destinée au marché local. Seules quelques caisses sont exportées vers l’Europe, les Émirats Arabe Unis, l’Irak ou encore le Qatar.

 

Une terre propice

Si ces deux familles relèvent le défi de relancer la production de vin en sommeil depuis des siècles, c’est aussi parce que la géographie y est propice. Les Haddad et Zumot exploitent dans le Nord-Est de la Jordanie, non loin de la frontière syrienne et irakienne, des terres réputées pour être les plus riches du royaume Hachémite. La région est généreuse : 330 jours de soleil par an, une nappe phréatique charitable, des étés secs et un vent d’Ouest. Formée de projections volcaniques d’un volcan aujourd’hui éteint, la terre est riche en minéraux, en argile, permettant une bonne activité organique sous terre, et en calcaire, préservant l’humidité du sol. Contrairement à l’orientation sud européen, les vignes sont ici orientées Est-Ouest permettant une plus grande aération du raisin pendant sa pousse et de réduire l’humidité pouvant détériorer les cépages. L’ensemble est situé à plusieurs centaines de mètres d’altitude. Les conditions sont donc réunies pour produire un vin de qualité voire exceptionnel.

 

Un marché monopolistique

La tradition est ancienne, la volonté est présente et la terre est riche. Pourtant cela ne suffit pas à faciliter la tâche de ces deux familles détenant pourtant le monopole de boissons alcoolisées dans un pays à très grosse majorité musulmane. En Jordanie, la vente d’alcool est légale mais reste soumise à des taxes équivalentes à … 300% du prix, que la bouteille soit produite sur le territoire ou importée ! Les bouteilles sont principalement vendues dans les restaurants et hôtels. Les taxes et le changement de température, empêchant le raisin d’arriver à maturation, expliquent la faible production. Ainsi, une bouteille ne se vend pas en dessous de 15-20 euros pour un salaire moyen tournant autour de 400 euros. Les taxes d’exportation comprenant les frais de douane ou encore les frais de transport pour l’Amérique ou l’Europe demeurent élevées. Pour limiter les frais liés à l’exportation et dans le but de se faire connaitre, les deux sociétés développent à l’heure actuelle l’œnotourisme. Bien que ce pays ne soit pas connu pour sa viticulture, les touristes commencent à s’y intéresser d’autant plus que d’après certains professionnels du secteur, les « vins jordaniens sont prometteurs ». Bientôt servi au Fouquet’s ?

 


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