Charles Huet : «Le Made in France est une réponse à la désindustrialisation française»
ENTRETIEN – Le Made in France revient plus que jamais sur le devant de la scène. Mais qu’en est-il réellement ? Entretien avec Charles Huet, co-créateur de la Carte française, une carte cadeau dédiée au produit Made in France et auteur du Guide des produits Made in emplois (2013).
Qu’est-ce que le Made in France ?
Le code de l’Union européenne définit précisément le “Made in”. Cette définition est issue du Gatt (1947) et des accords de Marrakech (1994). Il fallait attribuer et définir une nationalité à un produit en vue de lui affecter un niveau de droit de douane dans le cadre de ces accords. Cela se règle au niveau européen. Le code des douanes précise pour chaque type de produits le critère à remplir pour pouvoir se prévaloir du Made in France ou du Made in UE. Il y a autant de critères que de produits. Dans plus de 80% des cas, ce sont des doubles critères.
Le premier critère concerne la transformation et l’assemblage en France : c’est lorsque le produit a changé de code entre ce qui a été acheté par l’entreprise et ce qui a été vendu par l’entreprise après sa transformation. Le deuxième critère est un critère de valeur ajoutée. C’est à dire que plus de 45% de la valeur ajoutée du produit doit être effectué dans le pays dont il revendique le “Made in”. Ces deux critères sont cumulatifs. L’origine des différents composants et matières qui rentrent dans la fabrication du produit peut être d’origine variée mais dès lors que l’assemblage est en France, entre le personnel et les machines, vous arrivez systématiquement à 45% de la valeur ajoutée. Pour la mode, c’est l’étape de confection qui est retenue et pour les autres ce sont les dates d’assemblage car tout produit n’est finalement que l’assemblage d’autres sous-produits.
“Made in France” est une tournure anglaise. L’expression “Fabriqué en France” ne serait-elle pas plus appropriée ?
La tournure française est strictement équivalente au niveau légal. C’est la pure traduction de l’un et l’autre. Cette distinction a deux origines : l’une parce que l’anglais est la langue des affaires et l’autre pour une raison historique.
Le marquage d’origine des produits naît en Grande-Bretagne à la fin du XIXème quand les Allemands commencent à exporter leurs produits manufacturés en Angleterre. Les industriels britanniques ont eu le réflexe bien classique de se plaindre auprès de leur gouvernement de la concurrence déloyale d’industriels étrangers. À la fin du XIXème, la Grande-Bretagne décide de rendre le marquage d’origine obligatoire en imposant un logo Made in Germany sur les produits manufacturés allemands. L’idée est de miser sur la germanophobie britannique. Manque de chance, comme on le verra dans toute l’histoire de la consommation et des échanges internationaux, le consommateur recherche le meilleur rapport qualité/prix. A cette époque, à chaque fois que les Britanniques voient un produit où est inscrit « Made in Germany”, ils s’aperçoivent que c’est un produit très fiable, de très bon rapport qualité/prix. Le marquage donne ainsi naissance au marketing national.
Cette histoire prouve que le marquage d’origine n’a pas pour effet mécanique de discriminer le produit étranger mais d’informer le consommateur et de faire naître un sentiment par rapport aux attributs et qualité d’un produit d’une certaine origine.
Nous connaissons tous des marques comme Le Slip français, Saint-James, ou encore 1083 qui font la promotion de la production nationale. Peut-on dire que le Made in France se porte bien ?
Le Made in France ne se porte pas bien sinon on ne serait pas obligé d’en faire la promotion contrairement au Made in Germany qui lui se porte bien. L’appel à soutenir la production nationale est un réflexe de crise. La crise de 2008 a été une étape très importante de désindustrialisation. Le Made in France est un phénomène de réponse à cette crise-là. L’objectif est de réveiller les consommateurs français qui n’en tiennent pas compte. C’est une spécificité très française puisque les Britanniques, Italiens et Américains par exemple sont naturellement plus patriotes dans leur habitude de consommation. Le Made in France est à l’origine de belles histoires et certaines marques se portent très bien comme Saint James, 1083 ou encore le Slip français mais cela varie d’une entreprise à l’autre.
Au niveau global, on constate deux choses. D’un côté, une forte poussée de cette nécessité de patriotisme et de localisme des consommateurs sur les réseaux sociaux, mais qui a du mal à se concrétiser en acte d’achat concret. De l’autre, on constate une fragilité globale car la France se désindustrialise de manière continue depuis le tournant des années 2000 jusqu’aux alentours de 2016. On a touché le fond de la piscine dans les années 2017-2018 et là avec le coronavirus on est reparti pour un tour.
Une majorité de Français se dit prête à acheter des produits fabriqués en France mais évoquent le prix plus élevé pouvant être un frein à l’achat. Le Made in France est-il cher ?
Le Made in France n’est pas toujours plus cher. Cela dépend des secteurs et des niveaux de gammes. L’alimentaire et le cosmétique sont deux secteurs dans lesquels la France a une industrie très puissante avec des acteurs qui se positionnent aussi bien dans le luxe que dans l’entrée de gamme. La marque Dop est le shampoing le moins cher du marché et est fabriqué à Rambouillet. Un tiers des marques de distributeurs alimentaires est fabriqué en France.
En revanche, le Made in France est généralement plus cher dans le secteur de la mode et dans l’équipement. Cela s’explique par les structures de coûts de notre modèle sociale. La France a le record du monde de dépense publique, de prélèvement obligatoire et de réglementation. On le paye. Acheter français est un des rares moments pour le consommateur pour percevoir très concrètement le poids de la fiscalité sur les entreprises dans notre pays. Avec à peine le revenu médian depuis 8 ans, je consomme à 98% du Made in France. C’est aussi une question d’arbitrage de son budget.
En termes de coût, un aspect important est la qualité et la durabilité des produits. Il faut considérer que l’on n’a pas les moyens du bas de gamme. Acheter chinois, c’est acheter 10 fois alors qu’acheter français, c’est acheter une fois. Il faut sortir de la lobotomie des soldes et du consumérisme, faire de la France périphérique un paradis fiscal pour les entreprises, baisser les impôts … Grâce à cela, nos ingénieurs et entrepreneurs retrouveront naturellement de la compétitivité et proposeront plus de produits.
Depuis plusieurs mois, on observe sur la scène politico-médiatique un retour du souverainisme. Cette volonté de produire en France est-elle une forme de souverainisme ?
Pour moi le souverainisme est un mot valise. Ce que je sais c’est que nous sommes tous souverains de notre budget.
Au niveau de la souveraineté européenne, la Cour de justice des Communautés européennes (CJCE) a considéré de manière absurde et infondée que le marquage d’origine des produits dans l’UE ne devait pas être rendu obligatoire par les états. Cela est incompréhensible. Ils ont considéré que cela était un frein à la circulation des biens et des marchandises. L’exemple historique du Made in Germany en Grande Bretagne prouve le contraire car le marquage d’origine obligatoire n’a pas généré de discrimination mais la naissance d’une marque pays. Dans un modèle de marché pur et parfait, il est nécessaire pour son bon fonctionnement qu’une des 5 conditions soit remplie à savoir l’information la plus complète de tous les produits pour le consommateur. L’information complète du produit ne peut être un frein au fonctionnement d’un marché.
Au niveau de la souveraineté, on a clairement un abus de la CJCE qui est infondé. Dans les années 1980, la France et l’Irlande ont été condamnées pour avoir voulu rendre obligatoire le marquage d’origine.
La relocalisation sur le territoire national est considérée par les entreprises comme difficile car très coûteuse. Est-ce que cette production doit se limiter à une simple volonté entrepreneuriale ou celle-ci doit-elle tendre vers une véritable politique nationale digne de ce nom ?
Aujourd’hui, il faut comprendre les raisons des délocalisations pour trouver des solutions pour une relocalisation. Les délocalisations sont dues à l’enfer fiscal et à un manque de compétitivité qui a appauvri notre pays et à rendu notre marche intérieur moins dynamique.
Je veux bien que l’État adopte un rôle stratégique sur l’origine de ces achats stratégiques garant de son autonomie mais il doit réduire la voilure et remettre en question son domaine d’intervention pour se consacrer aux aspects essentiels de souveraineté. Il doit se retirer sur un certain nombre d’autres sujets pour pouvoir réduire la pression fiscale. Pour relocaliser, il faut arrêter la délocalisation qui s’accélère et préserver les usines encore présentes en France. Pour relocaliser, il faut attirer des investisseurs et on ne les attire pas avec de l’ISF ou avec un niveau d’imposition sur la production 5 fois plus élevé que nos voisins européens.
Je préfère un état paternel, musclé et sec qui s’occupe de peu de choses mais qui frappe fort quand il le faut sur le régalien et sur certains aspects stratégiques en matière économique qu’un état maternel obèse qui s’occupe de tout et qui est complètement impotent.
Propos recueillis par Charles de Blondin