Le Goulag : un instrument de la terreur communiste
De 1918 aux années 1980, le « Goulag », acronyme de « Administration principale des camps » en langue russe, vit passer 20 millions de détenus et fit plus de 4 millions de morts (selon Luba Jurgenson et Nicolas Werth).
Deux ans ! Deux ans que Jānis Mendriks travaillait comme un forçat dans les mines de charbon de Vorkouta. Des hivers glacials, des étés suffocants : les saisons ne faisaient aucun cadeau dans le nord de l’Oural. Le Letton, prêtre catholique de son état, avait été arrêté trois ans plus tôt pour son zèle religieux, assimilé à de l’anticommunisme par les Soviétiques. À son procès il fut accusé « d’organisation de groupes nationalistes » et d’avoir mené des « actions de propagande antisoviétique » et condamné à dix ans de travaux forcés. Mais le Père ne se décourage pas, en plus des travaux forcés, il organise des messes en cachette pour les autres détenus, cachant les hosties dans des paquets de cigarettes. Les conditions du camp sont effroyables, mais une grande nouvelle était arrivée en mars dernier, Staline est mort ! L’espoir revint comme une traînée de poudre, les prisonniers politiques réclament l’amnistie générale, veulent revoir leurs familles. Mais le (très provisoire) chef de l’URSS, Lavrenti Beria, n’amnistie que les peines de moins de cinq ans, autant dire une infime minorité des prisonniers.
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Nikita Khrouchtchev, qui élimina (politiquement) Beria en juin 1953, n’apporta aucun changement. L’espoir laissa place à la colère et à la haine. Le 29 juillet 1953, les détenus se mettent en grève, refusent les arrangements de Moscou et réclament la liberté, les gardiens sont débordés et font appel à la police et à l’armée. Le 1er août 1953 l’affrontement éclate, les prisonniers désarmés se ruent contre les troupes, les premiers coups de fusil se font entendre, suivis du vacarme mortel d’une mitrailleuse. Le Père Jānis se trouvant au premier rang meurt foudroyé de plusieurs balles. Avant l’ultime instant, il eut le temps de pardonner à ses bourreaux en récitant l’Absolution. Cet événement sera connu plus tard sous le nom de « Soulèvement de Vorkouta », qui fit entre cinquante et des centaines de morts (selon les sources officielles ou les témoins). Cette révolte est symptomatique du Goulag, qui atteignit son apogée sous Staline.
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Origine du futur Goulag dans la Guerre Civile Russe (1917 – 1923)
Le 4 juin 1918 Léon Trotski crée par ordonnance le premier camp concentrationnaire pour emprisonner les « ennemis du peuple », propriétaires terriens, Russes Blancs (Tsaristes), étrangers hostiles à la Révolution Bolchévique et Menchéviques (socialistes modérés). Les premiers internés sont des prisonniers de guerre Tchèques, et des citadins « bourgeois ». En août de la même année Lénine décide d’y enfermer les Koulaks (paysans propriétaires) et les religieux, en majorité des prêtres catholiques et orthodoxes. Viennent par la suite des prisonniers de droit commun et surtout les fonctionnaires de l’ancien régime Tsariste. Le « communisme de guerre », théorie développée par Lénine, le pousse à mettre en place un grand plan de liquidation de l’Eglise Orthodoxe, encore influente auprès de la population. En 1922, soit un an avant la fin de la Guerre Civile Russe, les églises et monastères sont pillés et réquisitionnés par l’Etat. Des milliers de curés et de popes (prêtres orthodoxes) sont assassinés ou déportés dans les îles Solovki, ironie de l’histoire cet archipel de la mer Blanche comprenait un immense monastère (datant de 1429) qui fut immédiatement transformé en camp de concentration. Les îles furent l’embryon du futur Goulag Stalinien.
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L’influence décisive de Staline
Le Petit Père des Peuples arrive au pouvoir en 1927, il désire faire l’industrialisation forcée du pays, qui jusqu’alors était surtout rural. Pour cela il a besoin de main d’œuvre, de beaucoup de main d’œuvre, l’idée d’utiliser des prisonniers germe dans son esprit. En 1928 il charge le Politburo (organe suprême de la Russie Soviétique) de mettre en place une répression de masse, organisée, pour fournir les camps existants. Dans les îles Solovki, un prisonnier devenu chef de camp, le tristement célèbre Naftali Frenkel, attire l’attention de Staline par ses méthodes. Frenkel avait mis en place un système de rationnement de la nourriture en fonction de la productivité des détenus, transformant le camp en laboratoire à ciel ouvert :
- Ceux considérés comme capables d’un travail lourd (800 g de pain et 80 g de viande) ;
- Ceux capables seulement d’un travail léger (500 g de pain et 40 g de viande) ;
- Les invalides (400 g de pain et 40 g de viande).
De fait, Naftali avait réussi à transformer un camp de prisonniers en entreprise économique « rentable ». L’idée plut beaucoup à l’homme de fer (Staline), qui s’empressa d’appliquer le même système à tous les camps existants. En 1930, il crée définitivement le nom « Goulag », ouvre des dizaines de camps sur tout le territoire et en confie la gestion au NKVD (ministère de l’Intérieur). Tout au long des années 1930, le nombre de prisonniers explosa successivement aux décisions de Staline : les communistes proches de Trotski, les derniers paysans propriétaires lors de la « Dékoulakisation », les minorités nomades et indigènes (Cosaques, Ingouches, Nénètses…) lors du premier Plan Quinquennal, n’importe qui (tous ceux dont Staline se méfiait, à raison ou non) lors des Procès de Moscou (1936 – 1938) qui envoyèrent à eux seuls 700 000 personnes dans les Goulags. Mais l’apogée du système se fit lors de la Seconde Guerre mondiale et jusqu’à la mort de Staline. Premièrement, suite au Pacte Germano-Soviétique (1939) qui permet à l’URSS d’envahir une partie de l’Europe de l’Est, Baltes, Ukrainiens, et Polonais sont déportés (environ 500 000 en 1941).
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Après l’Opération Barbarossa (juin 1941) les Allemands de la Volga, présent depuis le XVIIIe siècle, connaissent le même sort (1,2 million de personnes). Enfin, en 1945, des centaines de milliers de prisonniers de guerre Allemands en URSS furent condamnés aux travaux forcés (majoritairement en Sibérie). Des dizaines de milliers de prisonniers Soviétiques furent également envoyés aux Goulags au retour dans la Mère Patrie, pour motif de « trahison ». Le déclin du Goulag s’amorça à la mort de Staline en 1953, le nouveau dirigeant Nikita Khrouchtchev engagea une politique de « Déstalinisation », qui passa par l’assouplissement de la justice et la fermeture de certains camps. Cependant, il faudra attendre 1991, la chute de l’URSS, pour que le dernier Goulag (dans sa forme de travaux forcés) disparaisse.
Finissons sur la phrase restée célèbre de Joseph « Staline » Djougachvili :
« La mort d’un homme est une tragédie. La mort d’un million d’hommes est une statistique ! »
Une bien jolie image d’illustration, tirée d’un film sans doute américain où le réalisateur a inséré une jolie étoile rouge mais n’a pas pris la peine (ou le risque) de faire figurer une pancarte en cyrillique. Il y a peut-être d’authentiques images d’archives pour illustrer cet article ?