«Saint-Just, l’Archange de la Révolution» : une biographie critique d’Antoine Boulant
Docteur en histoire, Antoine Boulant est l’auteur de nombreux travaux relatifs à l’histoire politique, institutionnelle et militaire du XVIIIe siècle, de la Révolution et du Premier Empire. Son dernier ouvrage s’intitule sobrement Saint-Just. Le sous-titre indique la mention : « L’archange de la Révolution ».
Saint-Just reste l’une des figures majeures de la Révolution dite française, même si, comme Boulant l’explique très bien, il semble moins (re)connu que Robespierre, Danton, Marat ou Carnot. En effet, la dernière biographique qui lui a été consacrée fut publiée il y a plus de trente ans. L’auteur se base sur les travaux les plus récents et les nombreuses sources d’archives pour analyser le parcours de cet homme guillotiné le 28 juillet 1794 à l’âge de vingt-six ans seulement.
Il fut, comme chacun sait, très impliqué dans le processus révolutionnaire qui mit à bas la royauté : « De fait, nul peut contester son rôle de premier plan au cours de la période qui s’étend de l’abolition de la monarchie à la chute de Robespierre. Vingt-deux mois d’une exceptionnelle intensité dans l’histoire de la Révolution, au cours desquels son action fut déterminante en de multiples occasions ».
Boulant prend le soin de revenir sur les origines de Saint-Just. Nous apprenons qu’il est issu d’une famille aisée habitant le Nivernais. Louis Antoine est né le 25 août 1767 à Decize. Il est baptisé le même jour dans l’église du village : son parrain est Jean Antoine Robinot, curé de Verneuil. Le futur conventionnel a pour père « messire Louis-Jean de Saint Just de Richebourg, chevalier de l’ordre Royal et militaire de Saint-Louis, capitaine de cavalerie, ancien maréchal des logis de gendarmerie, compagnie d’ordonnance de monseigneur le duc de Berry », comme l’indique son acte de baptême. En définitive, rien ne semble le prédestiner à sa future carrière qui le fera entrer dans l’Histoire… Mais cette dernière étant le théâtre de l’imprévu, tout est possible !
De son vivant, et même après sa mort, Louis-Antoine n’a laissé personne ou presque indifférent : « Le jeune conventionnel a en effet suscité un nombre de travaux particulièrement élevé, une cinquantaine d’études à caractère général et plus quatre-vingts ouvrages relatifs à ses idées politiques et à sa pensée littéraire, sans compter ceux consacrés à sa famille, à ses missions aux armées et à divers aspects plus personnels, comme ses portraits, ses domiciles parisiens, son appartenance supposée à la franc-maçonnerie ou le contenu de sa bibliothèque ».
Ecrire sur ce personnage historique ne constitue pas en soi un exercice aisé, tant les passions et les émotions restent fortes quand il s’agit d’étudier les événements qui ont frappé notre pays à partir de 1789. Boulant précise « qu’au-delà de la nécessaire démarche documentaire, nous avons surtout souhaité proposer une biographie critique, entendue comme libérée de la gangue idéologique et du jugement définitif dans lesquels se sont enfermés nombre de travaux consacrés à Saint-Just ». Nous estimons que l’objectif est atteint, car Boulant ne se départit jamais de son rôle d’historien pour se comporter en accusateur public ou en militant politique.
L’auteur étudie tous les aspects de la vie de Saint-Just pour en brosser le portrait le plus complet possible. Nous lisons avec intérêt que « Louis-Antoine a développé un goût pour la solitude et l’écriture, et l’on peut déduire de quelques témoignages qu’il était cultivé, sensible et doté d’une étonnante mémoire, mais également orgueilleux, susceptible et intransigeant ». Il était très exigeant dans ses amitiés.
Lors des différentes joutes parlementaires, il montre également un talent d’orateur indéniable, sachant retourner l’Assemblée par la puissance du verbe et déployer un sens inné de la mise en scène. Passionné par l’Antiquité, notamment romaine, il puise ses références chez les classiques latins. Il s’inspire de leurs modèles pour concevoir ses pensées politiques et se compare volontiers à Brutus. Précisons également qu’il a suivi une partie de sa scolarité au collège Saint-Nicolas des Oratoriens de Soissons. Nombreux sont les révolutionnaires à avoir reçu leurs premiers enseignements sur les bancs de l’Eglise…
Cet homme, que l’histoire retient comme l’archange de la Terreur ou l’archange de la Révolution, fut « témoin des excès ayant suivi la prise de la Bastille. Il affiche sa méfiance à l’égard du peuple effréné, qui jouait avec les lambeaux de chair du gouverneur de la forteresse massacré par la foule, éternelle enfant devant nécessairement être dirigée ». Il est piquant de lire les propos écrits par Saint-Just quand on connaît la suite de son histoire et les idées politiques qu’il a défendues. Au commencement de la Révolution, il reste pourtant « attaché au principe monarchique », même s’il pense déjà – selon sa vision de l’égalité – que « chaque individu doit avoir une portion égale de la souveraineté ». Il estime également que la République ne saurait convenir à la France à cause de la grandeur du pays.
Autre paradoxe – ou incohérence – que nous décelons chez cet homme, Saint-Just se montre véritablement hostile à la peine de mort et « il ne pardonne pas à Rousseau d’avoir justifié le droit de mort ». Pourtant, il vote la mort de Louis XVI sans aucun remords, ni le moindre état d’âme, sans parler de la chute des Hébertistes, puis celle des Dantonistes, auxquelles il participe pleinement. Il défend la liberté de la presse, mais justifie la censure des journaux hostiles à son camp, avec son fameux « pas de liberté, pour les ennemis de la liberté ».
Boulant analyse avec précision son parcours politique et nous comprenons comment, devant les hésitations et les nombreuses erreurs du gouvernement royal, Saint-Just bascule totalement dans le camp révolutionnaire. Ses premiers pas en politique, il les accomplit à Blérancourt où sa famille est désormais installée. Etant donné qu’il est mêlé à la population rurale, il s’implique fortement dans la vie locale. Il comprend les aspirations des plus faibles et prend leur défense face à un régisseur qui selon lui « entretient des formes désuètes de féodalité ». A cette occasion, il écrit une lettre à Robespierre pour lui faire part de son combat. Il s’agit du premier contact entre les deux hommes.
Sa vie s’accélère parce que la Révolution prend également sa pleine stature. Grâce à la pédagogie de l’auteur, nous suivons Saint-Just à Paris et lors de ses nombreuses missions aux armées, où il se révèle excellent administrateur et meneur d’hommes : « Louis Blanc le présente comme l’incarnation du génie révolutionnaire ». Boulant convoque Taine qui « qualifie Saint-Just de jeune monstre au visage calme et beau, sorte de Sylla précoce, possédant un orgueil colossal, une conscience hors des gonds, une imagination emphatique, sombre, hantée par les souvenirs sanglants de Rome et Sparte ». L’Antiquité toujours l’Antiquité…
Boulant nous propose ainsi une étude passionnante dédiée à Saint-Just qui fut membre du Comité de Salut Public et dont les rapports enflammés changèrent le cours de la Révolution. Certains le considèrent comme « l’organisateur de la victoire aux armées » car il sut galvaniser des troupes démoralisées. Pour d’autres, il est aussi le « penseur des institutions républicaines » ou « l’incarnation d’une terreur fanatique ». Saint-Just avait proclamé : « On ne peut régner innocemment. Tout roi est un rebelle et un conspirateur ». Lire cet ouvrage permet de comprendre pour quelles raisons il a embrassé sans réserve la Révolution, au point de dire que « le bonheur est une idée neuve en Europe ».