Une semaine après les tirs de roquettes de l’Azerbaïdjan contre l’Arménie, le Haut-représentant du Haut-Karabagh, Hovhannès Guevorkian et l’ambassadrice d’Arménie, Hasmik Tolmajian ont donné une conférence de presse conjointe pour alerter sur l’agression croissante de l’Azerbaïdjan sur leurs territoires.
Inquiétudes et incertitudes régnaient dans le salon où étaient réunis une vingtaine de journalistes et quelques arméniens, à l’occasion de la conférence de presse convoquée en urgence par les représentants des Arméniens et du Haut-Karabagh en France, une semaine après les bombardements sur le sol arménien par les Azéris, pendant la semaine du 12 septembre. Plusieurs villes et villages ont été durement touchés, en particulier Goris, Sissian ou encore Jermuk, situés au sud d’Erevan, la capitale arménienne, non loin de la frontière avec l’Azerbaïdjan. La conférence de presse, initialement prévue le 27 septembre, pour faire un point sur le respect du cessez-le-feu du 9 novembre 2020, a été dû être avancée pour cette raison.
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L’ambassadrice d’Arménie, Hasmik Tolmajian, n’a pas mâché ses mots face à cette agression inattendue et à l’attitude du régime belligérant d’Aliev : « tout ce que veulent les Azéris, c’est de détruire tout le patrimoine arménien aussi-bien dans le Haut-Karabagh qu’en Arménie, pour supprimer toute forme de mémoire » a-t-elle déploré. Au total, le gouvernement Arménien estime le bilan humain des bombardements à environ 207 morts et 296 blessés, essentiellement des militaires, sans compter les nombreuses destructions de bâtiments civils, environ 3 000. « L’État azéri d’Aliev est arménophobe, raciste et souhaite la disparition des Arméniens, les Turcs à l’appui. Nous devons prendre Aliev au sérieux lorsqu’il menace de se débarrasser de ces « chiens » arméniens », a encore insisté Hasmik Tolmajian, en précisant bien que la guerre au Haut-Karabagh, débutée en septembre 2020 et conclue en théorie par un cessez-le-feu le 9 novembre 2020, n’est qu’une première étape vers une tentative d’invasion de l’Arménie.
Le Haut-Karabagh, un territoire menacé
En faisant bien la distinction entre les enjeux au Haut-Karabagh et en Arménie, Hovhannès Guevorkian, le Haut-représentant de cette république autoproclamée, au statut encore mal défini, a insisté sur la fragilité de la situation sur place, malgré la présence des Russes depuis novembre 2020, qui permet de garantir une certaine paix : « au lendemain du cessez-le-feu, environ 70 000 habitants sont revenus s’installer sur notre territoire et nous en sommes très heureux. L’enjeu aujourd’hui est de ne pas le quitter. » Environ 150 000 Arméniens résident actuellement au Haut-Karabagh. Le défi majeur est d’aider les populations à se reloger dignement, après les nombreuses destructions causées par la guerre, ce qui nécessite de nombreux plans de construction d’immeubles, qui pour certains sont déjà lancés.
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Hovhannès Guevorkian est pourtant loin d’être optimiste pour l’avenir des Arméniens dans cette région et celui de la république auto-proclamée ; et ce malgré le cessez-le-feu et la présence russe. Plusieurs opérations hostiles de la part des Azéris sont survenues ces derniers mois, pour les inciter à quitter le territoire : suspensions ponctuelles des livraisons de gaz ou d’électricité, en février dernier, attaques sur certains villages, … « Ils pratiquent un véritable nettoyage ethnique à l’égard des Arméniens pour pouvoir progressivement justifier une reprise complète de la région. Dès qu’ils arrivent sur un territoire, ils détruisent tout symbole pouvant s’apparenter à la culture et à la mémoire arménienne : églises, cimetières, … » a-t-il encore souligné, désemparé.
Isoler la région
Mais plus préoccupantes encore sont les opérations de l’armée azérie au mois d’août dernier pour dévier le corridor institué lors du cessez-le-feu du 9 novembre 2020, qui relie le Haut-Karabagh du nord au sud. L’objectif est de l’éloigner autant que possible de la frontière arménienne. « Ils cherchent tout simplement à nous isoler de l’Arménie, pour éviter tout approvisionnement ou échanges économiques avec elle et pouvoir ainsi nous engloutir. Notre message est clair : nous ne voulons aucunement être une minorité azérie, qui serait, dans tous les cas, asservis au régime autoritaire d’Aliev », a encore insisté le Haut-représentant.
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Le corridor, ou route de Latchine, gardé par les Russes, permettait une communication des habitants du Haut-Karabagh avec l’Arménie. Désormais, la nouvelle route est beaucoup plus éloignée de la frontière arménienne. Le seul point d’accès à l’Arménie pour les habitants du Haut-Karabagh via le corridor, se situe aujourd’hui au sud du pays.
Une médiation complexe
Au moment de la guerre entre septembre et novembre 2020, le Haut-Karabagh avait fait appel à l’ONU et à l’Organisation du traité de sécurité collective (OTSC), structure régionale pilotée par la Russie, pour négocier la paix. Mais lors des attaques azéries la semaine du 12 septembre, Moscou a refusé de réagir, invoquant que son rôle de médiateur ne concernait que la région du Haut-Karabagh. Une situation qui ne satisfait pas entièrement les Arméniens, qui craignent que la région soit abandonnée par les Russes, dont les intérêts à l’égard des Azéris et des Turcs sont importants.
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La présence des Russes dans cette zone lui permet avant tout d’exercer ses fonctions de puissance régionale d’antan et de maintenir son influence dans le Caucase. D’ailleurs, leur présence et leur médiation sont toujours d’une grande importance : « Sans les Russes, il n’y aurait sûrement plus d’Arméniens au Haut-Karabagh aujourd’hui » a tenu à préciser Hovhannès Guevorkian. Les soldats russes sont environ 1900. « A priori, le déclenchement de la guerre en Ukraine ne devrait pas modifier le nombre de soldats » espère le représentant.
L’appel du pied à la communauté internationale
L’ambassadrice d’Arménie a également tenu à faire un appel pressant à de la communauté internationale, pour forcer les Azéris à stopper leurs tirs et leurs avancées vers l’Arménie. « Toute démarche pour stopper l’Azerbaïdjan de son agression est bonne. S’il y a la volonté d’arrêter l’Azerbaïdjan, ce ne sont pas les outils qui manquent » a-t-elle insisté, soulignant avec reconnaissance le rôle du Secrétaire d’État américain, Anthony Blinken, dans la résolution de cette crise. Le 19 septembre dernier, Nancy Pelosi, la présidente de la Chambre des représentants, s’y est également rendue avec une délégation, sans qu’une déclaration importante ne soit faite pour autant.
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Hasmik Tolmajian a aussi tenu à remercier l’Etat Français pour son soutien à l’Arménie, « aussi-bien les personnalités politiques que les intellectuels et les journalistes ». Dans un communiqué, le 16 septembre dernier, l’Elysée a « rappelé sa détermination à permettre le dialogue et la poursuite des négociations entre l’Arménie et l’Azerbaïdjan, pour une paix durable dans la région », réaffirmant « son attachement à la souveraineté, l’intégrité territoriale et la sécurité de l’Arménie. »
Désormais, c’est au groupe de Minsk, co-présidé par les Etats-Unis, la Russie et la France de rechercher une solution pour éviter que de plus grandes confrontations n’éclatent entre l’Arménie et l’Azerbaïdjan. Sans aide militaire internationale, Erevan pourrait être très affaiblie face à son voisin soutenu par la Turquie.
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