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Chute de Goma en RDC : l’effondrement d’un État sous pression

L'entrée de l'ambassade de France à Kinshasa a été incendiée hier soir.

L'entrée de l'ambassade de France à Kinshasa a été incendiée hier soir.

Alors que des combats violents se déroulaient à Goma, la capitale du Nord-Kivu en RDC, des manifestants ont attaqué hier l’ambassade de France ainsi que d’autres représentations étrangères à Kinshasa. Une situation qui témoigne de l’insécurité ambiante.

 

L’image est saisissante. Des milliers de civils en déroute, fuyant Goma sous un ciel chargé de fumée et de poussière, pendant que les combattants du M23 paradent dans la ville, kalachnikov en bandoulière. La capitale provinciale du Nord-Kivu est tombée. Après plusieurs jours d’intenses combats, l’armée congolaise, désorganisée et sous-équipée, a cédé face aux assauts du groupe rebelle, confirmant l’enlisement d’un conflit qui s’éternise depuis plus de vingt ans.

 

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Une fois encore, Kinshasa assiste impuissante à la déroute de ses forces. Une fois encore, les populations sont livrées à elles-mêmes, errant sur les routes dans l’espoir de trouver refuge plus au sud. Au-delà du simple affrontement entre l’armée congolaise et une rébellion soutenue par le Rwanda, la prise de la ville cristallise l’effondrement progressif d’un État dépassé par les dynamiques de violence et de corruption.

Mais derrière cette énième débâcle militaire, il y a une réalité plus profonde : celle d’un État rongé par ses propres failles, où l’incapacité à protéger le territoire traduit un effondrement politique et institutionnel.

 

L’armée congolaise en déroute, le M23 en position de force

Depuis des mois, les tensions étaient palpables. Les rapports onusiens et les communiqués d’ONG alertaient sur l’aggravation des combats au Nord-Kivu. En juillet 2024, un rapport du Haut-Commissariat aux Réfugiés (HCR) faisait état de 1,7 million de déplacés. En janvier, la situation a basculé : Goma est tombée.

L’armée congolaise, gangrenée par l’indiscipline et l’incohérence stratégique, n’a pas résisté face à l’avancée rapide du M23. Le gouvernement de Félix Tshisekedi, qui avait fait de la sécurité au Kivu un axe central de son second mandat, voit aujourd’hui ses limites exposées au grand jour. Pour tenter de compenser ses carences, Kinshasa s’appuie sur des milices locales appelées les Wazalendo – une alliance hétéroclite de groupes armés qui se livrent à des exactions contre les civils, ce qui contribue au climat de terreur.

 

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Face à ce chaos, la rhétorique officielle ne varie pas : la RDC accuse Kigali de soutenir le M23, un groupe historiquement proche du pouvoir rwandais et composé majoritairement de Tutsis. De son côté, Paul Kagame accuse Kinshasa d’armer les Forces démocratiques de libération du Rwanda (FDLR), une milice hutu impliquée dans le génocide de 1994 et toujours active à l’Est du Congo. Une accusation qui rappelle que ce conflit dépasse de loin les seuls enjeux militaires et trouve ses racines dans l’histoire tourmentée des Grands Lacs.

 

Une guerre aux méthodes expéditives et aux dérives inquiétantes

La défaite de Goma a mis en lumière les dérives du gouvernement congolais. Acculé, Kinshasa a opté pour des méthodes radicales, notamment une répression brutale contre les kuluna, des bandes criminelles qui sévissent dans les grandes villes du pays. Dans une tentative désespérée de restaurer un semblant d’ordre, les autorités ont organisé des exécutions expéditives contre des jeunes accusés de pillage. Amnesty International et plusieurs organisations de défense des droits humains ont dénoncé ces pratiques, pointant du doigt des jugements sommaires et des détentions arbitraires dans des prisons surpeuplées où la famine fait des ravages.

 

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Les forces armées congolaises ne sont pas exemptes de critiques. Un rapport des Nations unies publié en 2024 a révélé l’utilisation d’enfants soldats par l’armée, en violation flagrante des engagements internationaux de Kinshasa. Ces révélations, passées sous silence par les autorités congolaises, viennent s’ajouter à une liste déjà longue d’abus perpétrés sous couvert de la guerre.

 

Un pouvoir de plus en plus contesté à Kinshasa

À plus de 2 500 km des combats, la colère gronde à Kinshasa. Des manifestations ont éclaté dans la capitale après l’annonce de la chute de Goma. Des ambassades ont été prises pour cible, dont celles de la France, où le service des visas a été incendié par des protestataires qui dénoncent l’inaction de la communauté internationale face à l’avancée du M23. L’image d’un président Félix Tshisekedi, qui rentre précipitamment du Forum économique mondial de Davos, illustre l’ampleur de la crise.

Loin d’être une simple question de souveraineté territoriale, la guerre à l’Est du Congo dévoile au grand jour les limites du régime congolais. Gangrené par la corruption, miné par une économie en crise et incapable de fournir des services de base à sa population, l’État congolais vacille sous le poids de ses propres contradictions. Le Kivu, zone historiquement instable, n’est que le miroir grossissant d’une défaillance qui ne dit pas son nom.

 

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La situation actuelle rappelle les événements de 1997, lorsque Laurent-Désiré Kabila, avec le soutien du Rwanda, avait renversé Mobutu Sese Seko. Une époque où les frontières entre pouvoir, rébellion et ingérence étrangère étaient déjà poreuses. Le spectre de cette histoire récente hante encore Kinshasa, où les tensions ethniques et géopolitiques continuent de façonner l’avenir du pays.

 

Une crise qui dépasse les frontières congolaises

Le conflit du Kivu est loin d’être un simple affrontement interne à la RDC. Il s’inscrit dans un jeu d’équilibres régionaux où chaque acteur a ses propres intérêts. L’Ouganda, voisin stratégique, surveille de près l’évolution des combats tandis que la Tanzanie et le Burundi tentent de préserver une fragile stabilité. À Washington, Bruxelles et Paris, les diplomates cherchent une issue diplomatique, tout en évitant d’impliquer directement leurs armées.

Le Conseil de sécurité de l’ONU a tenu une réunion d’urgence, mais les appels à la désescalade se heurtent à des dynamiques de terrain incontrôlables. Pendant ce temps, la population congolaise continue de payer le prix d’un conflit qui semble condamné à se perpétuer.

 

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La prise de Goma est un tournant, mais elle ne constitue qu’un chapitre supplémentaire d’une crise qui dure depuis plus de deux décennies. Pour la RDC, la question n’est plus seulement de savoir comment reconquérir Goma, mais comment éviter que l’ensemble du pays ne bascule dans une spirale de chaos encore plus profonde.

 


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