Des hommes de Boko Haram dans une vidéo de propagande

« État Islamique » ou « Daesh » ? Contrôler le vocabulaire utilisé par votre adversaire, c’est modéliser votre environnement selon votre perception, c’est gagner la bataille des idées. Dans cette optique, la guerre des mots a bien lieu.

 

Face à l’offensive de l’État Islamique et au vu du danger qu’il représente, les dirigeants occidentaux proclament la « guerre totale contre le terrorisme islamique ». Pour ce faire, la France et ses alliés étudient la stratégie à adopter dans cette lutte. La voie la plus logique est celle de l’intervention militaire : la France envoie alors un soutien aérien, matériel (armement) et technique (formateurs).

Une deuxième voie est étudiée, à savoir la voie diplomatique avec la conférence internationale contre l’État Islamique en 2014, présidée par François Hollande et son homologue Fouad Massoum, président de la république d’Irak. Celle-ci avait pour objectif de définir le périmètre d’une éventuelle coalition militaire. Une troisième voie se tourne vers l’aspect législatif à travers la loi anti-terroriste, adoptée à l’Assemblée Nationale en octobre 2017 à l’issue de l’état d’urgence.

Une quatrième voie apparaît également, toujours dans ce même but de « guerre totale contre le terrorisme islamiste » : celle du combat sémantique. Dès lors, les chefs d’état occidentaux se mettent d’accord sur un point : il faut occulter le caractère islamique et étatique de ce « nouvel ennemi » bouleversant l’ordre mondial.

 

Une guerre sémantique

Le mot d’ordre est donné : l’EI n’a « rien d’islamique et n’a rien d’un état non plus ». Le gouvernement français est alors le premier à utiliser le terme « Daesh ». Laurent Fabius, ministre des affaires étrangères de l’époque, que le monde entier nous jalouse, énonçait le problème : « le groupe terroriste n’est pas un État. C’est un cadeau que de l’appeler « État ». Je recommande de ne pas utiliser l’expression « État Islamique » car cela occasionne une confusion : Islam, islamistes et musulmans. Ils ne peuvent se revendiquer de l’Islam […] Pour être exact, il faudrait les appeler les égorgeurs de Daesh » ajoute-t-il dans un discours à l’Assemblée Nationale. L’ancien ministre appelle également l’ensemble des journalistes à bannir de leur vocabulaire les termes « État » et « islamique » lors de leur description ou désignation du groupe terroriste. Ce qualificatif est également récusé par l’AFP car jugé « inapproprié pour deux raisons: un, il ne s’agit pas d’un véritable État, avec des frontières et une reconnaissance internationale. Et deux, pour de nombreux musulmans, les valeurs dont se réclame cette organisation ne sont en rien “islamiques”. Le nom “État islamique” est donc susceptible d’induire le public en erreur ». L’agence préférera “organisation État islamique” ou “ groupe État islamique”.

 

Un refus du réel

Cette « guerre sémantique » pose trois problèmes majeurs. Premièrement, comme nous le savons tous, les terroristes détestent l’information mais aiment la publicité. Ce débat sans fin qui n’est pas tranché mais constamment relancé est une publicité gratuite pour les djihadistes.  Sur le terrain, l’ennemi de l’armée syrienne et de l’armée irakienne est clairement identifié : le terrorisme islamiste quel qu’il soit et peu importe son nom (Daesh, EI, ISIS, Front Al-Nostra ou Front Fatah al-Cham, Al Qaïda…).

Deuxièmement, certains habitants de la ville de Mossoul se sont vus menacés de se faire couper la langue et de se faire jeter en prison s’ils utilisaient publiquement le terme « Daesh », considéré comme une marque de « défiance et d’irrespect ». Si cette dénomination ne plaît pas au groupe terroriste c’est parce que celle-ci n’existe pas en langue arabe et a été inventé par leurs opposants. L’acronyme « داعش » (« Daesh » en Français) reprend les initiales « الدولة الاسلامية في العراق والشام »  (en arabe les lettres changent en fonction de leurs placements dans le mot) signifiant textuellement « État (ou nation) Islamique en Irak et au Levant (ou « Grande Syrie » équivalent au territoire de la Palestine, de la Jordanie, du Liban et de la Syrie).

Troisièmement, le fait de nier le caractère religieux de ce terrorisme, c’est ne pas comprendre ces personnes. C’est ne pas accepter qu’elles sont en rejet total de nos valeurs, de nos traditions, de notre « système républicain » qui fait de nous depuis des années des « enfants nomades ». Comment traiter le mal si nous faussons le diagnostic, si nous nions la réalité qui nous ronge ? Posons-nous cette question : pourquoi chercher une solution dans un « Islam de France » ou en formant des « imams républicains » si ces djihadistes ne sont pas musulmans et n’ont rien à voir avec l’Islam ?

 

Un véritable état ?

Dans tout cela, est-il possible de reconnaître le caractère étatique de ce groupe ? Sur un plan strictement sociologique, un État est un ensemble de personnes vivant sur un territoire déterminé et soumis à un gouvernement donné. En droit international, un État est un espace délimité par des frontières géographiques déterminées, à l’intérieur desquelles s’applique une loi, à travers différentes institutions, régissant une population permanente.

Le fonctionnement de l’État Islamique reposait sur des ministres avec des ministères, des gouverneurs de provinces, une police religieuse et de droit commun, une justice appliquant la Charia, une éducation séparée entre les filles et les garçons, une santé (des hôpitaux, maisons de retraite), une propagande fonctionnant à plein régime… En outre, il possédait également un service de renseignement « l’amniyat » composé d’un service d’espionnage, envoyant des terroristes organiser les attentats à l’instar de ceux de 2015-2016, et d’un service de contre-espionnage, servant à démasquer les taupes des services occidentaux tentant de les infiltrer. Les services se vantaient d’utiliser des méthodes du KGB ou encore de la CIA. Là où le groupe est présent, l’économie tourne : les voitures circulent, les marchés sont approvisionnés, l’électricité fonctionne quelques heures par jour.

Finalement, une seule chose les sépare d’un État «  standard » d’où l’appellation « proto État » : le ministère des Affaires étrangères. L’EI ne fut pas le 198e pays reconnu par l’ONU. L’aspect terroriste du groupe l’empêchait de nouer des « bonnes relations diplomatiques » avec les autres États sauf des relations ambiguës avec la Turquie ou encore l’Arabie Saoudite à ses débuts. Pas d’amalgame.

 


Vous avez apprécié l’article ? Aidez-nous en faisant un don

Laisser un commentaire

RSS
YouTube
LinkedIn
LinkedIn
Share
Instagram

Merci pour votre abonnement !

Il y a eu une erreur en essayant d’envoyer votre demande. Veuillez essayer à nouveau.