Alain Delon sur le tournage du film « Le Clan des Siciliens » en 1969 avec Lino Ventura et Jean Gabin. ©Jean-Pierre BONNOTTE / Gamma-Rapho

Ce dimanche 18 août, Dieu, ultime metteur en scène, a fait résonner le clap de fin d’une des plus belles séquences de l’histoire du Cinéma, qui aura duré 88 ans et 9 mois, une séquence nommée Alain Delon.

 

Revenons sur l’incroyable histoire de l’homme qui, au-delà de sa carrière exceptionnelle, est devenu l’un des piliers de notre culture populaire, de toute une industrie, et par extension, de l’influence culturelle française d’après-guerre. Laissons sa vie familiale et les affaires judiciaires dont il a été l’objet aux faquins qui en sont à la hauteur.

 

De l’Indochine aux plateaux de cinéma

Alain Delon, c’est d’abord une carrière qui débute à la fin des années 50, à son retour d’Indochine, par quelques apparitions devant la caméra de Michel Boisrond, ou devant celles des frères Allégret. C’est également le moment de sa rencontre avec Romy Schneider, avec Christine (1958), dans un style, pour l’instant, très « cinéma de papa ». Puis vient l’année 1960, un tournant doublement décisif, avec d’une part la rencontre de René Clément, pour Plein Soleil, qui immortalise le bleu d’un regard, en Technicolor, sous la chaleur de l’été sicilien. C’est d’autre part la première collaboration avec Luchino Visconti, dans Rocco et ses frères.

 

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Delon devient simultanément le jeune premier le plus en vogue du cinéma français, et une icône de la nouvelle vague italienne. En somme, c’est l’avènement d’une superstar. S’ensuivent au début des années 60 des partages d’affiche prestigieux, notamment dans Les Félins (1964), où il est le chauffeur, et plus si affinités, de Jane Fonda, ou encore dans Mélodie en sous-sol (1963), où il rencontre Jean Gabin pour un braquage à couper le souffle sur la Côte d’Azur. C’est une époque de grands rôles populaires, à l’image du héros de cape et d’épées qu’il incarne dans La tulipe noire (1964).

Enfin, s’il y a bien un événement qui marque ce début de décennie, c’est la deuxième collaboration avec Luchino Visconti, pour Le Guépard, Palme d’or 1963. Le maître italien choisit un fauve français pour incarner son Tancrède. Le charme de Claudia Cardinale, la musique de Nino Rota, le regard désabusé de Burt Lancaster, Delon a tout dompté. L’œuvre entière semble tourner autour de l’être de lumière qu’il compose. Il faut attendre 1967 pour qu’une nouvelle rencontre décisive se produise, cette fois-ci avec Jean-Pierre Melville, pour le cultissime Le Samouraï, où il se fond parfaitement dans l’uniforme Melvillien : trench & borsalino.

Deux ans plus tard, à l’occasion de retrouvailles très médiatisées avec Romy Schneider, il s’offre son rôle le plus sensuel dans La Piscine (1969). A la même période, décidément faste, il retrouve Henri Verneuil pour un trio avec Jean Gabin et Lino Ventura. Distribué par la Fox, avec un casting de rêve sur une musique d’Ennio Morricone, Le clan des Siciliens (1969) est LA superproduction française de la décennie. Alain Delon est au sommet de sa carrière.

Les années 70 s’ouvrent sur un premier partage d’affiche avec son alter ego, Jean-Paul Belmondo. Avec Borsalino (1970), les deux champions du box-office nous offrent un duo ténébreux-gouailleur irrésistible, avec le Marseille des années 30 en toile de fond. La suite est marquée par un travail acharné, à raison de quatre à cinq films par an, mais avec de moins en moins de fulgurances, si ce n’est dans Le Professeur (1972), ou Monsieur Klein (1976).

 

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A l’orée des années 80, au milieu de la quarantaine, le fauve a pris de l’âge, et s’installe au fur et à mesure dans son personnage de flic, sorte de double taiseux de Bebel, dans la même dynamique que lui à l’époque. Il nous offre une dernière apparition en 2008, dans le nullissime Astérix et Obélix aux Jeux olympiques. Notons tout de même, pour nous consoler, qu’il est la seule étincelle d’humour et de charisme dans ce film désespérément vide et ennuyeux. « Avé lui ».

 

Une classe à la française

En résumé, le phénomène Delon, c’est d’abord une présence unique à l’écran, un charisme étrange, viril et mystérieux, puis angélique et enfantin la seconde d’après. C’est un soleil froid, énigmatique parfois, charmeur toujours. Disons-le également, sa carrière n’aurait pas été la même s’il ne s’était pas retrouvé devant la caméra, à chaque fois envoûtée, des plus grands cinéastes de son temps. Luchino Visconti, Jean-Pierre Melville, Henri Verneuil, Michelangelo Antonioni, et bien sûr René Clément, ont tous contribué, par la maestria de leur mise en scène, à souligner ce regard, à sublimer cette beauté surnaturelle.

Enfin, la meilleure manière de lui rendre hommage est peut-être de rappeler son importance culturelle pour notre pays, car Alain Delon est toujours resté fidèle à la France. En refusant de prendre la succession de Sean Connery dans la saga James Bond, ou encore de jouer Michael Corleone dans Le Parrain (1972), il n’a pas daigné entamer la carrière hollywoodienne qui s’offrait à lui. Il a préféré régner sur le box-office hexagonal, en partage avec Jean-Paul Belmondo, Louis de Funès et quelques autres. C’est d’une importance capitale dans l’histoire du cinéma français, car sans son propre star system, c’est toute une industrie qui aurait manqué de viabilité, et se serait laissée coloniser par Hollywood, comme cela a été le cas partout ailleurs en Europe.

 

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Pour preuve, dans les années 60, deux films sur trois dépassant le million d’entrées dans l’hexagone sont des productions françaises. Au début des années 90, le rapport de force s’inverse, les productions américaines deviennent dominantes, et le pays qui a inventé le cinéma devient minoritaire sur son propre sol. Voir s’éteindre Alain Delon, c’est donc le triste rappel que notre cher cinéma national n’a plus de stars pour se maintenir à flot. Voilà la preuve qu’il n’était pas seulement, comme nous l’avons entendu ces derniers jours, un visage de la France à l’étranger, un ambassadeur de notre art de vivre, il était aussi l’un des piliers de notre indépendance culturelle, cette fameuse « exception française » que nous devons plus que jamais chérir et protéger.

Remercions l’homme qui, au cours de ses plus de soixante années de carrière, nous a fait tant rêver. Ne soyons pas tristes, car longtemps après son départ, il restera imprimé sur la pellicule, privilège de l’acteur qui peut toucher du doigt l’éternité, mais réjouissons-nous surtout de le savoir enfin libéré. « Je partirai tranquille, je ne regretterai rien et surtout pas cette époque de merde ». Alain Delon.

 


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