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Arc de triomphe empaqueté : cachez cette gloire que nous ne saurions voir !

©Jean-Michel Dromard

L'Arc de triomphe empaqueté, oeuvre posthume de l'artiste Christo.

Le 16 septembre 2021, les Parisiens découvrent la place de l’Etoile changée : l’Arc de triomphe vient de disparaître sous 25 000 mètres carrés de tissu bleu argenté. Cette œuvre, bien que posthume, a été imaginée en 1962 par un couple d’artistes : Christo et Jeanne-Claude. Entre prise d’otage et saccage visuel, l’œuvre nourrit des interrogations.

 

Tous deux sont nés le 13 juin 1935. Lui s’appelle Christo Vladimiroff Javacheff, il est bulgare. Formé aux Beaux-Arts de Sofia, il refuse le réalisme socialiste du régime et fuit à Vienne puis à Paris, où il s’installe en 1958. Elle se nomme Jeanne-Claude Denat de Guillebon. Elevée par le second mari de sa mère, le général de Guillebon, compagnon de la Libération, elle grandit entre Casablanca, Berne et la Tunisie. Lorsque celui-ci commande au jeune artiste qu’est « Javacheff » le portrait de son épouse, les deux jeunes gens tombent amoureux et commencent bien vite une collaboration artistique. Adeptes d’une forme de gigantisme éphémère, les deux artistes signent « Christo et Jeanne-Claude » et lancent depuis New-York toute une série de grands projets.

Christo et Jeanne-Claude réalisent entre le dernier tiers du XXème siècle et les premières années du XXIème plusieurs œuvres, où le thème de l’empaquetage éphémère s’impose comme une marque de fabrique. Ainsi, on compte parmi leurs réalisations un Pont-Neuf empaqueté à Paris en 1985, un Reichstag empaqueté à Berlin en 1995 ou encore des Jetées flottantes couvrant en partie le lac d’Iseo en 2016. La réception par la critique de ces œuvres est toujours des plus unanimes : partout, on célèbre la folie et la démesure de Christo, qui dessine ses visions. A New-York, où l’immesurable est roi, il couvre Central Park de portiques de tissus, sur le modèle japonais des portes torii, qu’affectionnent les shintoïstes.

 

Entre emballement et démêlés : le difficile empaquetage de l’Arc de triomphe

A Paris, la vision de Christo tend à faire de l’Arc de triomphe un objet sensuel, « un objet vivant qui va s’animer dans le vent et refléter la lumière. Les plis vont bouger, les gens auront envie de [le] toucher ». Longtemps, Christo a rêvé de ce projet. Dès 1962, captivé par les clichés de Harry Shunk place de l’Etoile, il réalise un photomontage et imagine l’arc empaqueté vu depuis l’avenue Foch. Ces plans resteront pourtant longtemps en marge des projets de Christo. Ce n’est qu’en 2017, lorsque le Centre Pompidou annonce préparer une exposition intitulée « Christo et Jeanne-Claude, Paris ! », qui retrace la période parisienne du couple, soit entre 1958 et 1964, que l’idée ressurgit. Une rétrospective de l’histoire du projet The Pont-Neuf Wrapped, Paris, 1975-1985 fera, en 2020, écho à une avant-première du projet L’Arc de Triomphe, Wrapped ; Project for Paris, Place de l’Étoile – Charles De Gaulle). En parallèle, Christo reprend ses plans et ses dessins : il désire empaqueter l’Arc de triomphe au même moment, soit en juillet 2020. Dès 2018, le Centre des monuments nationaux et la mairie de Paris acceptent le projet. Hélas pour l’artiste, la découverte de nids de faucons en haut de l’arc mettent la Ligue pour la protection des oiseaux en alerte : le projet est repoussé à l’automne. Cet automne tant attendu, Christo ne le verra pas. Il s’éteint à l’âge de 84 ans à New-York, le 31 mai 2020. L’épidémie de Covid-19 n’aura alors de cesse de repousser les velléités d’hommages de la fondation des deux artistes. Mois après mois, le projet vacille mais se maintient.

Finalement, septembre 2021 s’ouvre sur les préparatifs du drapage. Le 16 septembre, le président de la République Emmanuel Macron et le maire de Paris Anne Hidalgo inaugurent ce projet, dont les germes remontent à près de cinquante ans. La place de l’Etoile voit son monument se couvrir de 25 000 mètres carrés de tissu bleu argenté, enlacés par 3000 mètres de corde rouge, le tout reposant sur 312 tonnes de structure d’acier. Figé, l’Arc de Triomphe semble avoir disparu.

 

L’empereur ceint d’une ceinture d’acier avant son drapage définitif, au début du mois de septembre. Quand la gloire ne saurait être vue. ©Arthur Ballantine

 

Une œuvre entre prise d’otage…

On connaissait les goûts des responsables français pour le Beau. Qui ne se souvient pas avoir eu la joie d’emmener rêver ses enfants devant le plug anal vert sapin de 24 mètres de haut place Vendôme en octobre 2014 ? Qui n’a pas ressenti une grande fierté d’être français en amenant un ami étranger admirer un Vagin de la reine violacé dans les jardins de Versailles en juin 2015 ? Qui désormais ne saurait s’enorgueillir d’accueillir les (derniers) touristes japonais devant un Arc de triomphe bâché ? Qui ne peut être fier de montrer au monde comment nous, français, nous respectons notre Histoire ?

A Paris, on est le centre du monde fashion et on aime le faire sentir. L’artiste, qui agit avec la bénédiction de la mairie et du Centre des Monuments nationaux (CMN) est une nouvelle occasion de faire la réputation de la capitale. Selon le président dudit CMN, Philippe Bélaval, « du monde entier, des millions de regards vont converger vers ce monument symbolique de l’histoire de France et de Paris ». Quelques objections s’imposent.

Premièrement, l’Arc de Triomphe est bien « symbolique ». Seulement, il n’a pas attendu Christo pour être le centre des regards. Décidé par Napoléon Ier au lendemain d’Austerlitz, dessiné par l’architecte Chalgrin, repris par Louis XVIII après les expéditions d’Espagne, continué par Charles X dans un souci d’unité nationale, encensé par Balzac et Hugo, portant les noms de tant de héros, abritant la tombe du Soldat Inconnu, ayant vu passer les avions des as les plus intrépides, trônant au milieu d’une place Charles de Gaulle, rythmant la vie de milliers d’âmes, l’Arc de triomphe est résolument une incarnation des gloires françaises.

Deuxièmement, l’Arc de triomphe est visité plus d’un million de fois par an, ce qui en fait l’un des immanquables de la capitale. On déplore depuis quelques années la baisse de fréquentation de la capitale par les touristes, notamment asiatiques, qui faisaient de Paris leur priorité lors de leur voyage en Europe, lequel était souvent celui d’une vie. Or, accueillir ces gens en leur présentant une « histoire de France et de Paris » empaquetée, bâchée, voilée, c’est, en plus de les prendre en otage, leur montrer l’état d’esprit français actuel : non à la gloire, non à la grandeur, cachons tout ce qui fit notre pays et surtout, comme disait Jean-Michel Apathie, « rasons Versailles ! ».

 

… et saccage visuel

En réalité, il serait naïf de se dire étonné. Depuis Marcel Duchamp et sa ravissante Fontaine (comprendre Urinoir renversé) on se demandait si l’artiste voulait encore atteindre le Beau. L’artiste contemporain semble obnubilé par un seul but : faire du laid et encore du laid. Ici, on crée en cachant. Toute la création de Christo réside en une volonté de camoufler une chose par une autre. Que seraient 25 000 mètres carrés de tissu bleu argenté, enlacés par 3000 mètres de corde rouge et reposant sur 312 tonnes de structure d’acier si l’Arc de triomphe n’était pas dessous ?

Hubris démesuré de l’auteur ? Sans aucun doute. Mais alors, quid de la critique ? Comment se fait-il que les Français se sentent obligés de s’extasier devant cette œuvre. En fait, l’art obéit aujourd’hui à de nouvelles réalités. A la différence d’un ordre établi depuis la nuit des temps et dans toutes les cultures, le Beau ne paie plus. Nous sommes passés d’une logique où le Beau était gage de côtes importantes à un mode de pensée où quiconque décide de faire grimper une côte couronne le produit. En faisant du cher, on fait désormais du Beau. Dans une de ses interventions sur la chaîne YouTube de Front Populaire, l’éditorialiste Guillaume Bigot résumait la situation avec brio. Il explique ainsi que « si Goering avait adopté la formule : « Quand j’entends le mot culture, je sors mon révolver », François Pineault lui, sort sa carte bleue ».

L’académisme parisien n’est pas la cible de ce genre de manifestation : il est déjà bien empreint de la révolution expliquée ci-avant. En réalité, on cherche à choquer et à moquer le public populaire. On veut montrer à Monsieur Toutlemonde combien il est bête de croire au Beau et combien il est incapable de comprendre pourquoi son grand-père tombé à Verdun doit être caché, pourquoi les figures des livres d’histoire de ses enfants doivent être couverts de 14 000 000 d’euros de tissu recyclable. Tout cela hélas est partie prenante du système déconstructiviste actuel, où même la réalité est niée.

Victor Hugo lui, avait compris l’importance de l’Arc de triomphe. Il en avait fait la plus belle description :

« Il ne restera plus dans l’immense campagne,

Pour toute pyramide et pour tout panthéon,

Que deux tours de granit faites par Charlemagne,

Et qu’un pilier d’airain fait par Napoléon ;

Toi, tu complèteras le triangle sublime !

L’airain sera la gloire et le granit la foi ;

Toi, tu seras la porte ouverte sur la cime

Qui dit : il faut monter pour venir jusqu’à moi ! »

Les Voix intérieures. Œuvres complètes de Victor Hugo, Ollendorf, 1909

 

Nous indiquons à nos lecteurs qu’une exposition Botticelli a lieu au musée Jacquemart-André du 10 septembre au 24 janvier 2022. Résistez, regardez le Beau !

 


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