Brexit : rendons le français à l’Europe !

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©Guilhem Velluti / Flickr

Alors que le Brexit est prononcé, la France n’aurait-t-elle pas le devoir de tout mettre en œuvre afin de restaurer la grandeur de sa langue sur le continent européen ?

 

Le 31 décembre 2020, le Royaume-Uni faisait ses adieux définitifs à l’Union européenne. Un départ certes mouvementé et difficile, mais qui a rappelé à certains dirigeants, européens et français, que les nations européennes ne sont pas les jouets d’un Bruxelles désintéressé et destructeur. La célèbre formule de Nigel Farage « We love Europe, we just hate the European Union » fera sourire tout souverainiste européen, rêvant d’un monde où arborer, certes non sans un gout particulièrement britannique, une cravate aux couleurs de son pays ne signifie pas une exclusion pour « désobéissance » du sacro-saint hémicycle. Comment ne pas se laisser séduire par une posture telle que celle-ci, qui, réfléchie, sait aimer l’Europe en lui montrant d’abord du respect ? Comment résister à l’envie de faire de l’Union européenne post-Brexit un espace où les peuples et les nations sont les premières considérées ? L’un des éléments de ce combat est celui de la langue.

 

Député européen de 1999 à 2020, dirigeant de l’UKIP de 2006 à 2016 et fondateur en 2019 du Parti du Brexit, Nigel Farage signera le 29 janvier 2020 une des plus belles déclarations souverainistes, disant « aimer l’Europe » mais « haïr l’Union européenne ».

 

Le français, une langue européenne diplomatique

« Le XVIIIème siècle est à la langue française ce que le château de Versailles est à l’histoire de la monarchie française, c’est-à-dire l’apogée de sa gloire et de son rayonnement dans le monde entier. » Ainsi s’exprime le linguiste Claude Hagège lorsqu’il raconte l’histoire du français dans une émission en neuf volets diffusée sur « La Cinquième » en 1996, d’après son livre Le Français, histoire d’un combat. En effet, comprendre l’importance du français en Europe et au sein de l’Union européenne nécessite une étude chronologique d’une montée en puissance diplomatique reposant sur la puissance militaire et économique de la France, depuis le XVIIème siècle.

Le 7 octobre 1571, la victoire de la Sainte ligue sur les Ottomans à Lépante fera trembler les mers aux rythmes de l’Invincible Armada espagnole, finalement défaite le 6 aout 1588 face à la flotte du corsaire anglais Francis Drake (1540-1596). Sur le continent apparaissent alors, avec l’expansion voulue par Louis XIV et Colbert au Canada, au Québec et aux Antilles ainsi que par la fondation de la Compagnie des Indes, les prémices des luttes économiques entre le royaume de France et les Provinces-Unies.

De 1672 à 1678, les affrontements de la guerre de Hollande déchirent les deux puissances et aboutissent à la signature des Paix de Nimègue. Ces traités, au nombre de sept, et dont cinq seront signés par le royaume de France, fondent une nouvelle diplomatie, « à la française », où la France, portée par son hégémonie militaire, imposera sa langue et effacera l’usage millénaire du latin. Le 6 mars 1714, le traité de Rastatt, mettant fin à la guerre de succession d’Espagne, est signé par Louis XIV et l’empereur Charles VI (1685-1740) : la France accepte de céder ses places fortes construites à l’est du Rhin. Défaite territoriale marquant la fin du règne du Roi Soleil, le traité de Rastatt pourrait pourtant être vu comme l’apogée diplomatique du royaume de France : parlé par les vaincus, le français s’impose naturellement dans la rédaction du traité et devient ainsi la langue de la diplomatie.

Le XVIIème siècle ayant été le temps de l’installation du français comme langue de la diplomatie, le XVIIIème en sera la plus belle illustration. Peu à peu, et avec une approche quasi-naturelle, les cours d’Europe adoptent le français. Depuis le XVème siècle, sur le modèle de l’attachement des états marchands de Venise et Florence à installer dans les capitales européennes des ambassades, le royaume de France a construit peu à peu un corps diplomatique devenu au XVIIIème siècle le plus puissant d’Europe. Consécration, le nonce apostolique envoyé par le Saint-Siège à Versailles rompra avec la tradition en s’adressant à Louis XV en français et non plus en latin. Les qualités de rigueur et de méthode du français, illustrées par les écrits des Lumières, lus dans toute l’Europe, fournissent des garanties contre les ruses linguistiques : le français s’impose comme une langue fiable, juste et digne. Plus étonnant encore, les échanges diplomatiques du continent entier se font désormais en français.

En 1718, une convention entre la Hollande et l’Empire est signée à la Haye. En 1719 puis 1720, la Grande Guerre du Nord se solde par la signature des traités de Stockholm, entre les rois de Suède, de Prusse et du Hanovre, et du traité de Frederiksborg entre les royaumes de Suède et de Danemark-Norvège. En 1774, le traité de Koutchouk-Kaïnardji lie Catherine II de Russie à l’Empire Ottoman, dont les ambassadeurs ne parlent que le français. Bien sûr, lors de ces sommets, on ne se contente pas de rédiger des traités en français, on les discute. Pour la plus grande gloire de la diplomatie française, notre langue est celle utilisée pour les échanges entre les délégations. Ainsi, lors du Congrès de Paris mettant fin à la Guerre de Crimée en 1856 et lors du Congrès de Berlin réglant les questions d’Orient en 1878, le français s’impose et évite les conflits. Contre la guerre, les monarques et dirigeants européens choisirent longtemps la langue de Molière.

 

Le XXème siècle : déclin français, règne de l’anglais

« Je crois que la France peut vivre sans Québec. » écrivait Voltaire (1694-1778) au ministre Choiseul (1712-1785). Une phrase d’apparence si simple qui devait illustrer une erreur fatidique. Le Traité de Paris, mettant, en 1763, un coup d’arrêt aux prétentions françaises en Amérique du Nord et aux Indes, devait être le point de départ d’une chute vertigineuse de l’influence française hors de l’Europe. En 1805, la bataille de Trafalgar suit de près la vente, en 1803, de la Louisiane : en cédant la domination maritime mondiale à l’Angleterre, l’Empereur condamne sans le savoir le français diplomatique à un long sursis.

Si le XIXème siècle reste, en Europe, celui du français, l’hydre britannique s’emploiera lentement à en réduire l’influence. En 1814, le Congrès de Chatillon, où s’illustre Caulaincourt (1773-1827), suivi le 9 juin 1815, par le Traité de Vienne, illustrent dans la défaite la gloire de la langue du pays rédacteur du Code civil. Les conquêtes du Second Empire en Algérie, Indochine ou au Sénégal ne rattraperont pas les pertes irréversibles de la Louisiane et des Antilles. Les dix millions de kilomètres carrés de l’empire ne sont que peu peuplés de francophones : seules les élites s’attacheront à apprendre la langue des colons.

Le XXème siècle, qui s’ouvre en Europe dans l’horreur de la Première Guerre Mondiale, voit en l’arrivée des forces diplomatiques américaines une terrible ingérence. Les Quatorze Points du président Woodrow Wilson (1856-1924), d’abord adressés aux américains comme un programme de politique extérieure, révèlent lors de la Conférence de la Paix à Paris en janvier 1919, leur importance pour la diplomatie européenne.

Réunis au Quai d’Orsay, les dirigeants Lloyd George (1863-1945) et Woodrow Wilson, ne parlant pas le français, obligent Georges Clemenceau (1841-1929) à avoir la courtoisie d’utiliser l’anglais. Conséquence directe, l’anglais s’impose aux côtés du français le 28 juin 1919 dans la rédaction du Traité de Versailles. L’orgueil français est touché. S’il ne s’en relèvera pas, notons tout de même les bons mots de l’académicien Robert de Flers (1872-1927), qui verra dans cet évènement une véritable « éviction, d’un privilège que le Monde nous a reconnu et que l’Histoire ne nous a pas disputé, c’est à quoi nous ne saurions nous résoudre en silence ! » ainsi que la formule du linguiste Antoine Meillet (1866-1936), remarquant que « lorsque l’on lit le texte français, on a l’impression qu’il est traduit de l’anglais. ».

 

« Signature du traité de Paix par la délégation allemande le 28 juin 1919 dans la Galerie des Glaces », 1919, par William Orpen, tableau auquel nous associerons la formule d’Antoine Meillet ; « La fin d’une guerre, dans laquelle la France a joué le premier rôle militaire, a consacré la ruine du privilège qui faisait du français la première langue diplomatique dans le monde. ».

 

Notre langue, défi du XXIème siècle …

Après la Seconde Guerre Mondiale, la main mise américaine sur la diplomatie mondiale et l’installation du modèle libéral en Europe, l’anglais s’est imposé dans nos vies, ayant le monopole des échanges économiques et diplomatiques. Au sein de l’Union européenne, le français est langue officielle depuis 1958, l’anglais depuis 1973, cela au même titre que vingt-deux autres langues. Toutes ces langues sont considérées comme des langues de travail et peuvent ainsi être utilisées de plein droit au sein des institutions.

Le règlement CE n°1/1958 du 15 avril 1958 fixe le régime linguistique et définit les langues officielles et de travail dans les institutions européennes, ce qui entraine une obligation pour les règlements de l’Union européenne, les textes de portée générale et le Journal officiel de l’Union européenne d’être publiés dans toutes les langues officielles. En outre, les dispositions de l’article 41-4 de la Charte des droits fondamentaux protègent le multilinguisme des institutions : « Toute personne peut s’adresser aux institutions de l’Union dans une des langues des traités et doit recevoir une réponse dans la même langue. ».

Selon le site du Ministère de l’Europe et des Affaires étrangères, se targuant d’exercer une véritable « représentation permanente de la France auprès de l’Union européenne », ce principe se trouve freiné « dans le cadre du multilinguisme intégral maîtrisé ». Pour traduire les textes rédigés dans toutes les langues, le Parlement européen a mis en place un système de langue relais qui consiste à faire traduire d’abord les textes dans les langues les plus utilisées », que sont l’anglais, le français et l’allemand. Des « langues de travail privilégiées » existent et constituent en pratique un obstacle au multilinguisme garanti juridiquement.

Que l’on soit pour ou contre ce recul manifeste du droit, l’argument pratique reste convaincant, notamment dans le cadre de l’exercice parlementaire. De plus, et selon les chiffres du Figaro publiés le 25 février 2017, parmi les 17 millions d’élèves, âgés de 11 à 15 ans, qui étudiaient une langue étrangère ou plus, la plupart, soit 97,3 %, apprenait l’anglais et, y ajoutait bien souvent, pour 33,8 %, le français ou, pour 23,1 %, l’allemand. Une hiérarchie dans l’apprentissage des langues est réelle et nous pousse à pencher là encore pour l’argument confortable du « plus grand nombre ». Le travail parlementaire pouvant se révéler réellement lourd, il est envisageable d’entendre l’anglais comme un moyen d’expression facile, notamment en ce qu’il est compris par un grand nombre de locuteurs.

Pourtant, cette conclusion, qui pourrait certes être discutable, doit être mise face à la réalité : le Royaume-Uni s’est séparé de l’Union Européenne le 31 décembre 2020. Bien sûr, l’anglais demeure la langue officielle de l’Irlande et de Malte, ce qui équivaut à 1,2% des locuteurs européens, un pourcentage qui était de 13% avant le Brexit. Le français représente quant à lui le chiffre de 15% et reste parlé au sein de l’Union européenne par quelques 118,8 millions de personnes, selon le rapport de l’Observatoire de la langue française.

Prenons du recul et interrogeons-nous de manière plus large encore : quelle est la place du français dans le monde ? Le chiffre de 220 millions de francophones, sans doute tronqué par le statut de langue officielle du français dans plusieurs pays, ce qui ne fait pas de leurs habitants des locuteurs réels, témoigne néanmoins d’une place non négligeable. Une étude approfondie de la place et de l’évolution de notre langue dans le monde pourrait être menée mais il nous parait plus urgent d’en évaluer la place dans une Union européenne post-Brexit.

 

… se révélant un modèle antisystème ?

A Bruxelles, enclave francophone en territoire flamand, l’anglais domine aujourd’hui tout en étant la langue maternelle d’1,2% de ses citoyens. Le contexte mondial libéralisé a poussé depuis la fin de la Seconde Guerre Mondiale l’Union européenne à s’angliciser, l’Europe entière à s’américaniser. En témoignent nos parlementaires. L’anecdote la plus marquante, celle des débats menés en 2000 au sujet de l’entrée des pays de l’Est par le ministre chargé des Affaires européennes Pierre Moscovici, est navrante. Emportés par leur bon sens, ces pays y ont dépêché des ambassadeurs parlant français ! Quelle ne fut pas leur surprise lorsque la France, alors dépositaire de la présidence tournante de l’Union européenne, se trouve alors représentée par un ministre s’exprimant en anglais. Le poids britannique se faisait-il donc ressentir au point de voir nos représentants se priver eux-mêmes de leur droit d’user de leur langue ? Triste constat.

Si nous avons l’indulgence de pardonner et l’intelligence de nous tourner vers l’avenir, nous ne pouvons, le Brexit mené à son terme, continuer à nous résigner à parler une langue qui nous est, de fait, subordonnée. Le français est factuellement la langue de l’Union européenne et doit le devenir en droit et en pratique ! Remarquons d’ailleurs que cette revendication n’est pas uniquement française, en témoigne la juste interrogation du quotidien italien Il Foglio : « Comment peut-on se dire en effet européen quant on parle la langue de ceux qui ont refusé l’Europe ? ».

Dans un article du 9 janvier 2021, le journal déclarait sa flamme aux écrivains français d’aujourd’hui. La France restera-t-elle insensible à cet appel ? Enfin, remarquons le regard proposé dans un remarquable entretien intitulé « Notre langue contre la pensée unique », mené pour la revue Front populaire par Henri de Monvallier. Le linguiste Claude Hagège y livre un manifeste contre la domination en Europe d’une « pensée unique véhiculée par la diffusion mondiale de l’anglo-américain ». Comme lui, comme nos voisins européens, comme tout pays de bon sens, sachons faire du français la langue post-Brexit !

Témoins d’une histoire diplomatique, dépositaires d’une littérature extraordinaire, faisons nôtres les mots d’Anatole France (1844-1924) : « la langue française est une femme et cette femme est si belle, si fière, si modeste voluptueuse, noble, folle, sage, que l’on aime de toute son âme que l’on n’est jamais tenté de lui être infidèle. ».

 


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