Elections : la face cachée du vote obligatoire
Publié le 23/06/2021
Avec seulement un tiers de la population qui s’est déplacé aux élections régionales, certaines personnalités politiques proposent de rendre le vote obligatoire. Explications.
Débâcle générale et abstention record. Seulement 30% de l’électorat s’est déplacé pour voter ce dimanche 20 juin 2021 aux élections départementales et régionales. Symbole de la perte de confiance dans le processus démocratique et dans ses élites, ces élections auront aussi permis à une petite frange de politiciens de sortir du tiroir une idée vieille comme le vote : le suffrage obligatoire. Quel est l’historique du vote en France ? Que nécessite-t-il ? Pourquoi vouloir imposer le vote obligatoire ? C’est à ces trois questions que nous répondrons au fil de ces lignes.
Historicité du suffrage en France
Contrairement à ce mythe imposé et rebattu, ce ne sont pas les révolutionnaires qui ont brisé les fers du peuple pour lui donner le droit de voter (bien au contraire). Le droit de vote existe en France depuis … sa fondation. Ses modalités furent changeantes au fil des siècles et c’est ce qui peut parfois troubler notre vision de l’histoire du suffrage en France.
Nous pouvons en introduction dire que la monarchie, elle-même, fut autrefois élective. Tous les souverains français furent, jusqu’à l’établissement de la loi fondamentale dite de l’hérédité, élus par la noblesse réunie. Privilège, privilège, va-t-on dire … et le peuple ?
Le peuple, lui, pouvait voter à son échelle, notamment au travers des conseils municipaux et des États généraux récurrents comme le rapporte l’historienne médiéviste Régine Pernoud. Ce droit de vote était offert aux hommes … mais aussi aux femmes ! Pour autant, celles-ci vont perdre en partie ce droit. Leur vote ne sera, en effet, comptabilisé que si elles sont considérées comme étant des chefs de famille, donc pour la plupart d’entre elles, veuves. Par la suite, les révolutionnaires interdiront purement et simplement aux femmes le droit de voter.
Le génie du mal qu’était l’abbé Emmanuel-Joseph Sieyès au travers de la théorie des citoyens « actifs » et des citoyens « passifs » exclut des isoloirs les femmes, les domestiques, les enfants et les pauvres ! Un doux parfum d’émancipation … Par la suite, les hommes pauvres pourront de nouveau voter en 1792, puis se taire jusqu’en 1799, date à laquelle ils obtiendront un pouvoir de suffrage « abâtardi ». Ce pouvoir, même moindre, sera supprimé à la Restauration puis restauré par petites pointes au cours du XIXe siècle.
Les femmes, elles, ne retrouveront le droit de vote qu’en 1944. L’Outre-mer obtiendra un droit complet au vote en 1956, les jeunes de 18 à 21 ans en 1974 tandis que le président de la République sera élu au suffrage universel direct dès 1962.
En résumé, le vote a toujours existé en France, et si ses modalités en firent parfois une exception, il n’en resta jamais ni plus, ni moins, qu’un droit.
Les bases nécessaires pour voter
Comme nous l’avons vu un peu plus haut, pour voter, il était autrefois nécessaire en France de posséder de l’argent. Cette méthode de suffrage est appelé suffrage censitaire car il était nécessaire de payer un impôt, en l’espèce le cens, afin d’avoir accès au vote. L’avantage de ce suffrage est de donner la parole à des personnes riches et donc le plus souvent bien éduquées et à même de voter en conscience. L’inconvénient est que ce vote ne se fait pas, a priori, en fonction d’une quelconque capacité à voter mais en fonction d’un bien dont peu ont accès en quantité suffisante : l’argent. Car si, comme nous l’avons dit, l’argent et l’éducation se suivent souvent, ce n’est pas toujours le cas.
Une autre méthode discriminatoire d’établissement du vote est le suffrage capacitaire. Les votants le seront s’ils ont la capacité, notamment intellectuelle, de voter. L’avantage est d’avoir un avis éclairé, si ce n’est d’expert, du moins de personne avertie. L’inconvénient est dans le choix même de qui votera. Quelle capacité sera nécessaire pour voter ? Savoir écrire ? Lire ? Compter ? Créer des plans de réacteurs nucléaires ? Choisir la capacité nécessaire pour voter, c’est aussi choisir les futurs votants.
Une méthode plus rare de suffrage est celle du suffrage dit familial. Ce suffrage permet au bon père de famille de disposer d’autant de voix que de membres au sein de sa famille. L’avantage est de promouvoir la natalité et de revaloriser la famille. L’inconvénient est de donner trop d’importance à une idée minoritaire. Par exemple, prenons un pays imaginaire composé de cinq familles. Les quatre premières sont composées d’un père, d’une mère et d’un enfant. Trois fois quatre font douze. La cinquième famille, elle, est composée d’un père, d’une mère et de douze enfants. Grande famille ! En somme quatorze personnes. Une famille met donc en minorité quatre autres familles.
Il existe enfin le suffrage universel. Suffrage permettant à tous les citoyens de voter à partir d’un certain âge. C’est le suffrage actuel en France. Ce suffrage, s’il est accessible à tous et donc relativement égalitaire, permet aussi à des personnes n’ayant pas l’envie ou la capacité de voter de donner leur avis. Cette méthode de suffrage est facultative à cette heure dans notre pays. Pour autant, certaines nations comme la Belgique imposent le vote obligatoire. En effet, en vertu de l’article 62 alinéa 3 de la Constitution coordonnée du 17 février 1994 dite Constitution belge, « Le vote est obligatoire et secret ». Le contrevenant à cette règle se verra infliger une amende à hauteur de 40 à 80€ puis de 200€ en cas de récidive. Mais pourquoi vouloir imposer une telle modalité en France ?
Finalité et conséquences du suffrage obligatoire
La finalité du suffrage obligatoire est simple : amener les électeurs dans les isoloirs. Cela peut paraître bénéfique au jeu démocratique mais en réalité le Diable se cache dans les détails. Nous devons nous poser la question de « Qui ne vote pas ? ». D’une part, ceux qui n’ont pas d’avis ou se fichent de la politique, d’autre part, c’est triste à dire, ceux qui n’ont pas les capacités (intellectuelles et/ou physiques) pour avoir un vote éclairé. Ceux qui ont des convictions votent en grande partie et s’ils ne votent pas, l’obligation de vote ne les fera pas changer d’opinion pour autant. Tous les partis bénéficieront donc au premier abord d’un regain de voix. Mais que faire de ceux qui n’ont pas d’avis ou de capacités ? Les laisser voter blanc indéfiniment ? Évidemment non ! Le but sera de les faire voter pour une liste, et si ce n’est par conviction ce sera certainement par la peur.
Le politique de la peur a pris ses lettres de noblesse sur la scène politique avec François Mitterrand. Il avait besoin d’un épouvantail diabolique pour se faire élire, il a choisi Jean-Marie Le Pen. Le choix se faisait dès lors entre le bien et le mal, un choix qui sied au président Mitterrand, mais aussi au Menhir, qui par un jeu de dualité recueillait de nombreuses voix qu’il n’aurait peut-être jamais acquises sans cette fourberie mitterrandienne. Le duel se reproduit en 2002 puis perdure sous l’ère Marine Le Pen. Mais ne nous laissons pas avoir par les apparences. La Phalange n’est pas aux portes de la France. François Hollande l’avouera d’ailleurs, lui-même, dans son livre-entretien Un Président ne devrait pas dire ça [Davet et Lhomme] en disant que Marine Le Pen « n’est pas factieuse ». Pour autant, le faire croire reste intéressant.
Le vote obligatoire sous fond démocratique ne sera en réalité qu’un moyen d’accentuer l’ingénierie sociale et la manipulation des foules au profit de politicards bedonnants ne maîtrisant que l’art de l’intrigue pour survivre.
Après le « Pas de liberté pour les ennemis de la liberté » de Saint-Just, nous pouvons proclamer la nouvelle devise républicaine : « Mort aux indécis », qui sera l’objectif politique de ces prochaines années. Peut-être la suite prendra-t-elle la forme de l’interdiction du vote blanc au profit du choix d’une liste, même non désirée ? Qui sait ?
Au-delà des finalités avouées et souterraines nous pouvons aussi pointer du doigt certaines conséquences bien réelles du suffrage obligatoire.
D’une part, rendre le suffrage obligatoire fait de ce droit inaliénable un devoir impérieux. Voter ne sera plus une liberté mais un acte constitutionnellement sanctionné au même titre que le paiement de l’impôt. Mais au fond, ces derniers mois et ces dernières années, les Français ont montré qu’ils ne tenaient pas tant que cela à leurs libertés fondamentales (presse, expression, manifestation, circulation, …). Alors pourquoi les politiques se priveraient-ils pour en enlever une de plus ? Après tout, « un peuple de moutons finit par engendrer un gouvernement de loups » (Agatha Christie) !
D’autre part, rendre le vote obligatoire fait imposer un impôt par destination supplémentaire sur la tête des Français. Payer de 40 à 200€ pour ne pas exercer ce qui naguère était une liberté n’est pas la perspective la plus glorieuse de notre avenir proche. Et en excluant ceux qui ne se déplaceront pas à dessein, comment traiter ceux qui n’ont pas pu se déplacer, ceux en voyage, handicapés ne pouvant bouger.
« Je ne crains pas le « suffrage universel » : les gens voteront comme on leur dira ». Alexis de Tocqueville.
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