ENTRETIEN. En mai 2022, le Mali a annoncé vouloir quitter l’organisation du G5 Sahel regroupant 4 autres pays : la Mauritanie, le Mali, le Tchad et le Burkina Faso. Son départ a mis à mal la politique de sécurité régionale et a coïncidé avec la fin de l’Opération Barkhane en novembre 2022 et le déploiement du groupe paramilitaire russe Wagner plusieurs mois auparavant. Le général mauritanien Mohamed Znagui Ould Sid’Ahmed Ely, chef du Bureau Défense Sécurité du G5 Sahel revient dans cet entretien sur la situation régionale au Sahel.
CHARLES DE BLONDIN : Plus de 9 ans après sa création, quel bilan tirez-vous des actions du G5 Sahel en 2023 ?
MOHAMED ZNAGUI : Le G5 Sahel a été créé dans des conditions tout à fait particulières, à une période où les cinq pays (NDLR : Mauritanie, Mali, Tchad, Niger et Burkina Faso) qui le composent étaient soumis à une pression sécuritaire très importante. Cette création avait coïncidé avec l’occupation du nord-Mali et l’installation de l’insécurité à long terme dans le nord-Niger. Dans sa formule première, le G5 a été créé comme organisation ayant d’abord un objectif de développement. Il y a trois départements pour le développement pour un département défense et sécurité.
Les problèmes de sécurité ont pris le pas sur les problèmes de développement compte tenu des circonstances, de l’urgence et de la médiatisation. Mais le développement a connu des avancées importantes. Le G5 a réuni la conférence des bailleurs de fond à Nouakchott en 2018, a élaboré des projets comme un chemin de fer, une compagnie aérienne, des infrastructures routières, des axes de communication, lesquels ont reçu des promesses de financement.
Sur le plan sécuritaire, le G5 a créé une force conjointe entre les cinq pays, mais aussi d’autres organismes de sécurité, comme un collège sahélien de sécurité qui se trouvait à Bamako, un collège de défense qui se trouve à Nouakchott, un centre d’analyse des menaces et alertes précoces qui se trouve à Ouagadougou, une plateforme de coopération sécuritaire avec des antennes nationales centralisées à Nouakchott.
Des groupes d’action rapide, des unités de gendarmerie financées par l’Union européenne et mises en œuvres par un consortium de gendarmeries du sud de la Méditerranée, dont l’Espagne, la France, le Portugal, l’Italie. Voilà donc un bilan important et positif, un peu diminué avec le développement de l’insécurité. Nous avons créé beaucoup de choses, sans lesquelles la situation serait plus catastrophique.
CDB : Le G5 Sahel est-il la seule solution pour résoudre ces problèmes ?
M.Z : Nous n’attendons pas du G5 qu’il règle à lui seul les problèmes de terrorisme et d’insécurité mais c’est un moyen d’aider les Etats et la communauté internationale à résoudre ces problèmes. Je crois que le G5 a souffert d’incompréhensions: on lui a trop demandé de vaincre les trafics illicites, le terrorisme, l’immigration illégale, l’insécurité transfrontalière sans lui donner assez en terme de financement, d’assistance, de soutien : tout cela en plus de développement économique ! Un exemple : la force conjointe était une force transfrontalière. On ne peut pas demander à sept bataillons de cinq pays de régler tous les problèmes d’insécurité dans la région.
Je crois qu’il y a une mauvaise interprétation de la menace au niveau international. On a tendance à croire que la menace ne vient que du nord de la région sahélienne alors qu’une menace se propage à partir du lac Tchad à l’intérieur du Nigeria, qui remonte vers le nord et qui est en train de faire jonction avec la menace descendant du nord. Le problème libyen, qui n’est toujours pas résolu, a aussi été un catalyseur pour le développement de cette insécurité.
Vous pouvez ajouter à cela la menace qui vient du sud-est, de la zone du lac Tchad et du Nigeria, avec Boko Haram et maintenant l’Etat islamique ainsi que la menace de la piraterie qui se trouve au niveau du golfe de Guinée. Si tout ceci fait jonction, cela pourrait mener à une situation comme celle du Burkina Fasso, qui devient le centre de la menace. Une autoroute du crime qui va de l’Atlantique à la Méditerranée peut se créer.
CDB : Le retrait du Mali a-t-il grandement contribué à l’affaiblissement du G5 Sahel ?
M.Z : Le G5 Sahel a tenté d’élaborer tant bien que mal des projets pour lutter contre cette situation difficile mais dans le cas de la force conjointe par exemple, tout a été mis à l’arrêt avec le retrait du Mali, qui crée un véritable problème. Il y a un découragement, une lassitude, un retrait des partenaires, qui ne sont plus aussi investis qu’avant. Plus encore, des entités au niveau international cherchent des substituts au G5 avec l’Alliance pour le Sahel, la coalition pour le Sahel.
Malgré la recherche active d’un substitut au G5 Sahel, celui-ci demeure pourtant le format le plus important et l’organisation la plus à même de faire face aux problèmes de la région. Nous ne désespérons d’ailleurs pas que le Mali revienne un jour dans la structure afin que celle-ci prenne un élan nouveau, ce serait l’idéal. Son retour constituerait un retour aux sources, à la continuité territoriale et à la solidarité transversale entre Nouakchott et N’Djamena. Sans ce retour, le G5 fait de la survie. Nous devons beaucoup au fait que les bailleurs, les acteurs internationaux continuent à y croire. Un G4 n’aurait pas véritablement de sens : tout l’échafaudage du G5 était fait autour du Mali. Du point de vue historique, géographique, population, politique, le Mali est un pays important de la région.
CDB : Si le Mali ne revient pas, le G5 Sahel a-t-il des chances de survie ?
M.Z : Je ne crois pas à un éclatement total du G5. La volonté de rester ensemble, de travailler ensemble, de s’entraider, est plus forte. La logique du G5 Sahel me parait rendre sa destruction absolument impossible. Preuve en est, même avec la sortie du Mali, le G5 continue à s’appeler G5. Cette sortie ne peut être qu’une parenthèse, la place naturelle du Mali étant au sein du G5. De tous les ensembles, le plus viable est la CDEAO (Communauté économique des Etats de l’Afrique de l’Ouest), mais seul le G5 permet de réunir des pays membres et non-membres, comme le Tchad et la Mauritanie, et de lutter avec des problèmes propres à un ensemble géographique, politique, historique et sécuritaire. Sur tous les points de vue, le G5 est quand même plus pertinent que tout le reste. Nous ne désespérons donc pas que le Mali revienne un jour à sa place naturelle.
CDB : On dit souvent, et c’est une formule consacrée, que la Mauritanie fait « figure d’exception » dans sa façon de lutter contre le terrorisme, avec aucun attentat depuis une dizaine d’années. Qu’en pensez-vous ?
M.Z : Je n’aime pas cette façon de singulariser un pays ou une région par rapport à un autre. Nous sommes tous des pays africains, nés dans les mêmes années, avec les mêmes niveaux de compétence. La Mauritanie a été en 2005 le premier pays attaqué par les terroristes, ce jusqu’en 2011. Cela a amené la Mauritanie à prendre des mesures assez fortes dans la structuration et l’équipement de ses armées, à prendre des mesures pour la protection de sa population et de son territoire.
Le pays est aussi le plus désertique de la région : prenez le point le plus au sud du pays, il se situe au nord de la zone sahélienne. Nous devons donc occuper, maitriser, développer le désert, au risque de ne pas avoir de territoire. Nous ne sommes pas un de ces pays sahéliens qui présentent une « zone utile » et une « zone abandonnée » : le désert est une question de survie pour nous. Où que vous alliez dans le désert, vous trouverez du peuplement et de la sécurité, déployée en différents corps. Nous avons des soldats qui vivent à la frontière algéro-mauritanienne depuis très longtemps dans ce qui est leur milieu naturel.
La question du facteur religieux est aussi importante : nous n’avons pas accepté que quelqu’un se l’approprie par rapport à un autre, la religion étant pour tout le monde. La Mauritanie a donc développé tout une stratégie militaire et économique, mais aussi culturelle, avec des questions de philosophie religieuse mises sur la table. Il faut que chaque citoyen se sente concerné par la sécurité du pays. Les actions de la population dans le renseignement vis-à-vis de certaines menaces ont été très bénéfiques. Nous n’acceptons pas que nos populations se retrouvent à la solde de terroristes, d’extrémistes, ou de gens qui créent l’insécurité.
CDB : Quel a été la place de l’Etat mauritanien dans cet optique de développement dont le G5 Sahel est un outil ?
M.Z : Le contrôle du territoire par l’Etat a été très couteux. L’Etat a été actif financièrement afin d’attirer la population dans des zones difficiles. Il a fallu tenir des mois entiers dans les confins du désert, parfois sans eau afin de créer des conditions de vie acceptables . Ces gens aujourd’hui ne se plaignent pas de conditions de vie différentes vis-à-vis des habitants de Nouakchott : ils sont mieux dotés et mieux lotis qu’eux. C’est toute cette philosophie, cette mentalité qu’il a fallu mettre en place, en créant un sentiment d’appartenance à un ensemble, un bloc servant à quelque chose.
Nous ne pouvons empêcher l’ennemi de rentrer dans le pays par le désert, mais s’il ne peut s’approprier nos espaces, nos points d’eau, il ne pourra pas rester. L’essentiel reste la dissuasion. Nous avons été capables de mener des poursuites au fin fond du désert, même au Mali, démontrant qu’aucun point de retraite n’attend l’ennemi une fois son forfait commis.
CDB : Quels sont les grands projets de l’armée mauritanienne dans les années à venir ?
M.Z : Je suis plus à l’aise pour vous parler du G5 et de ses problèmes. Cependant, je sais que l’armée mauritanienne s’est bien adaptée à la situation d’insécurité qui prévalait dans la région. Elle dispose d’une petite aviation assez performante, tant dans le renseignement que dans l’attaque au sol. Elle a entretenu une relation avec les populations par une présence sur tout le territoire. Les perspectives de 2025 s’aligneront sur l’évolution des intérêts du pays et de la menace. Nous avons une surface maritime assez importante, intéressante économiquement et stratégiquement. A ce titre, nous comptons sur l’intelligence et la promptitude des Mauritaniens pour s’adapter à une éventuelle nouvelle donne.
CDB : Il y a quelques semaines, le ministre russe des Affaires étrangères, Sergueï Lavrov s’est rendu en Mauritanie afin de discuter avec le président Mohamed Ould Ghazouani des sujets de politique de développement, de la politique sécuritaire et du G5 Sahel. Comment percevez-vous cette visite-là ?
M.Z : Je ne suis pas un responsable politique. J’ai entendu la nouvelle comme vous l’avez entendue. Monsieur Lavrov est le ministre des Affaires étrangères d’une grande nation de ce monde, qui a des relations très anciennes avec la Mauritanie. Il a été invité lors d’une visite, chose que je trouve tout à fait naturelle. Ce qu’en pensent les gens d’ici, c’est que le moment est très particulier et que la région est très particulière. Comme je vous l’ai dit tout à l’heure, je compte sur le nationalisme, l’intelligence, la finesse et la souplesse des Mauritaniens pour garder, comme ils l’ont toujours fait, un équilibre dans les relations internationales.
Nous ne sommes pas un pays puissant mais un pays dont la position géostratégique et le rôle régional sont extrêmement importants. Nous ne sommes en guerre avec personne, si ce n’est le sous-développement et le terrorisme. Cela est déjà un travail titanesque, c’est pourquoi je demande à tous nos partenaires, qu’ils soient russes, américains, français, chinois, de nous aider à vaincre ces éléments. Nos amis sont ceux qui nous aident et respectent notre indépendance.
CDB : Avec le retrait des troupes françaises du Mali et du Burkina-Faso, quelle place le G5 Sahel accorde-t-il à la France dans la région ?
M.Z : Il y a suffisamment de penseurs et stratèges français pour penser à la position française en Afrique. Pour ce qui est du G5 Sahel, la France est un partenaire assez important. Elle dispose à mon avis de plus d’atouts dans la région que tout autre nation. Si ces atouts étaient bien exploités, ils permettraient à la France d’établir une relation privilégiée avec la région ouest-africaine. Ces atouts que sont la langue, l’histoire peuvent être exploités.
Actuellement, c’est le Mali qui a le plus de problèmes avec la France dans la région. Lorsque des ministres maliens veulent exprimer des désaccords, ils utilisent le français et non pas l’anglais ou le russe ! Ce sont des liens extrêmement forts, que les orages présents ne peuvent effacer. La présence de mercenaires russes au Mali me semble destinée au provisoire. L’équation mathématique est simple : ce qui lie la France au Mali ou au Burkina Faso est beaucoup plus important que ce qui les oppose.
Le G5 Sahel est une organisation locale, sans obédience ou destination française. Elle a pour but de régler les problèmes de la région avec tous les partenaires de la planète. Peut-être que la France est beaucoup plus proche, mieux disposée, plus visible et est de fait un acteur privilégié mais elle n’a en rien une prépondérance. Nous voulons donc que cela soit exploité dans une diplomatie sage, sereine et suivie.
CDB : Le film américain « Black Panther, Wakanda forever » de la franchise Marvel présente des mercenaires embauchés par le gouvernement français et portant des uniformes de l’opération Barkhane. Le ministre français des Armées, Sébastien Lecornu, a condamné cette image que véhicule le film. Que pensez-vous de la présence militaire française au Mali et au Bukina-Faso, qui semble condamnée dans une guerre informationnelle ?
M.Z : Je ne suis pas cinéphile et ne connais pas le film dont vous parlez. Si je prends l’information telle que vous me la donnez, je reste tout à fait étonné de tels agissements de la part d’un allié de la France, les USA. J’ai rencontré au Mali, au Burkina-Faso et dans toute la région des soldats français professionnels, des officiers merveilleux, des généraux très compétents, mais jamais des mercenaires portant le même uniforme.
J’ai parcouru la région pendant des années et n’ai jamais rencontré un soldat ou officier français qui me donne l’impression d’être un voyou ou un mercenaire. Ces gens sont des professionnels, d’un très bon niveau, qui remplissent une mission d’Etat, dans le cadre d’une force constituée. Si cela existe ailleurs ou dans les confins, je n’en ai jamais été témoin. Je peux tout accepter, tout comprendre, sauf que l’on me dise que l’armée française soit assimilable, de près ou de loin, à des mercenaires.
Propos recueillis par Charles de Blondin
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