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ENTRETIEN – Henok Teferra, ambassadeur d’Éthiopie : «La fin de la guerre approche»

L'ambassadeur d'Éthiopie en France, Henok Teferra. ©Charles de Blondin / Billet de France

Avec près de 10 000 morts et plus de 2 millions de déplacés depuis novembre 2020, le conflit en Éthiopie fait des ravages. Alors que les troupes gouvernementales semblent repousser les forces tigréennes loin de la capitale Addis-Abeba, ces dernières évoquent un « repli stratégique ». L’occasion de faire le point sur la vision du gouvernement éthiopien avec son ambassadeur en France, Henok Teferra. Entretien.

 

BILLET DE FRANCE : Le 4 novembre 2020, les forces tigréennes mènent une offensive contre les forces gouvernementales. Quelle est la genèse de cette attaque ?

HENOK TEFERRA : Avant l’arrivée du Premier ministre actuel, Abiy Ahmed, le régime, tenu par le Front de libération du peuple du Tigré (TPLF) étranglait les libertés et s’était organisé pour dominer l’économie et la politique. Cela était devenu tellement insupportable qu’il y a eu de nombreuses manifestations avec de nombreux morts. Une partie de la classe politique qui souhaitait des réformes s’est disputée avec le TPLF. Une fois au pouvoir, ces réformateurs souhaitaient que le TPLF, qui avait des ministres, soit représenté en fonction de son importance [démographique – ndlr] en Ethiopie. Comme il ne l’a jamais accepté, le TPLF s’est retiré au Tigré.

 

BDF : Suite aux reports des élections pour cause de Covid, le TPLF lance son offensive. Pourquoi ?

H.T : Le report des élections était un prétexte au déclenchement des opérations. D’autres pays, comme la France, l’ont fait à cause du Covid. Le TPLF l’a utilisé pour mobiliser ses relais au sein de l’armée, sa milice et tout son réseau politique, diplomatique et médiatique. Ils n’ont pas attaqué simplement une base militaire mais le commandement nord de l’Ethiopie basé au Tigré pour des raisons historiques suite à la guerre entre l’Ethiopie et l’Érythrée en 1998-2000. L’objectif était de saisir des armes et de défaire l’armée qui était la colonne vertébrale de l’État pour s’imposer comme l’acteur exclusif. Les dirigeants du TPLF ont voulu s’accrocher à leurs privilèges. Face à cela et parce que notre gouvernement a été élu démocratiquement nous avons réagi. Le conflit nous a été imposé. Désormais, je pense que la survie de l’État est définitivement assurée. Même si les opérations ne sont pas terminées, le TPLF ne pose plus un danger existentiel.

 

BDF : Pensez-vous qu’un statu quo pourrait avoir lieu se traduisant par une déclaration d’indépendance du Tigré ?  

H.T : Je ne pense pas car militairement parlant la situation s’éclaircit de plus en plus. Le TPLF n’a pas les capacités de faire face à l’armée s’est soldée par un échec cuisant. Maintenant ils en payent le prix. Nous sommes dans une situation où la fin approche. Notre volonté est de clore rapidement ce chapitre et de continuer le développement de l’Éthiopie. Malgré la crise sanitaire et le conflit, nous avons eu des résultats très encourageants.

 

BDF : Ce qui devait être une intervention rapide en novembre 2020 est devenue un conflit qui dure. Comment expliquez-vous cette situation ?

H.T : Il faut se replacer dans le contexte. Fin novembre, le TPLF a été délogé de sa capitale du Tigré [Mekele-ndlr]. Au mois de juin 2021, le gouvernement avait décidé unilatéralement, un cessez-le-feu humanitaire pour permettre la mise en culture car nous étions à la saison de la pluie. L’Ethiopie est un pays très agricole, principalement de petits exploitants qui dépendent de cette période pour cultiver leurs champs surtout au Tigré qui est une zone chroniquement déficitaire sur le plan alimentaire. Le TPLF a profité de cette occasion pour se regrouper et lancer des assauts dans le Tigré, dans la région Amhara et dans la région Afar. Le gouvernement a donc décidé de mener une contre-offensive. Pour le moment, celle-ci a démontré son efficacité car elle les a repoussés loin de la capitale. J’espère rapidement la fin de ce drame.

 

BDF : Certains analystes avancent l’idée que le TPLF serait armé par l’Égypte et le Soudan. Quelles peuvent en être les conséquences sur la relation avec ces deux pays notamment vis-à-vis du barrage Renaissance qui crispe les tensions ?

H.T : Ce qui est avéré est qu’il y a des camps d’entraînements de réfugiés au Soudan. Ces camps accueillent des gens qui ont fui le pays et qui se font passer pour des réfugiés politiques. Ce sont les mêmes qui ont commis des crimes comme celui de Maï-Kadra. C’est un des plus gros massacre du conflit où plus de 1 000 civils ont été massacrés ; car ils étaient membres d’une ethnie différente. Pour autant, nous souhaitons vivre en paix avec tous nos voisins y compris avec nos voisins soudanais avec qui nous avons beaucoup de liens. Nous avons construit un barrage qui ne consomme pas d’eau mais qui génère de l’électricité. Alors que nous sommes à 86% à l’origine des eaux du Nil, nous n’en avons pas utilisé une seule goutte d’eau jusqu’à présent. Il est donc légitime que nous puissions générer de l’électricité et cela sans nuire à nos voisins. Malgré toutes les difficultés rencontrées, le remplissage du barrage est terminé à 80% et celui-ci sera définitivement terminé début 2023. Le débit ne devrait d’ailleurs pas être significativement perturbé.  Je ne pense pas que l’Égypte favorise une quelconque instabilité et même si elle le tentait cela ne marcherait pas.

 

BDF : En mars 2021, le secrétaire d’Etat américain Antony Blinken, a dénoncé « un véritable nettoyage ethnique » dans le nord de l’Ethiopie. Que répondez-vous à ces accusations ?

H.T : Il y a des paroles et il y a les faits. Par souci de transparence et pour faire taire les rumeurs que l’on entend dans la presse, nous avons accepté qu’une délégation des Nations Unis fasse son travail et vienne sur le terrain pour enquêter. Après plusieurs semaines de travail dans des conditions difficiles compte tenu de la situation, ils ont sorti un rapport qui réfute :

Suite à ce document, notre gouvernement a créé un comité interministériel de haut-niveau composé d’experts pour mettre en œuvre les recommandations figurant dans ce fameux rapport. Le gouvernement n’a pas attendu ce document pour sanctionner les individus ayant commis des actes répréhensibles. Au niveau factuel, les choses sont claires. Malheureusement, la situation est plus compliquée au niveau politique et médiatique à cause de la propagande et de la désinformation.

 

BDF : Que pensez-vous de l’Alliance du TPLF avec l’Armée de libération oromo (Ola) ?

H.T : Je ne crois pas que c’est une alliance. J’ai l’impression que c’est plus une sorte de couverture pour le TPLF qui a besoin de montrer un soutien qu’il n’a pas. L’Ola est un groupuscule qui commet des meurtres dans la région Oromia. C’est un groupe nihiliste. Il n’a pas d’impact réel. Le TPLF n’a pas de soutien au sein de la population compte tenu de la gestion du pays lorsqu’il était au pouvoir. Apres avoir refusé la main tendue, la façon dont ils ont « poignardé » la population est impardonnable. Le peuple Ethiopien ne l’oubliera pas.

 

BDF : Avec les stigmates de la guerre, comment voyez-vous l’avenir de votre pays ?

H.T : Je pense que nous sommes en bonne voie pour que la paix revienne. Il faudra reconstruire car beaucoup d’infrastructures ont été détruites par la guerre et investir dans l’éducation, la santé et l’industrie. Malgré la crise sanitaire et le conflit, nos revenus ont augmenté de 8% par rapport à l’année précédente. Avec 110 millions d’habitants, l’Éthiopie est un pays très jeune et qui a un État capable de mettre en œuvre une politique de développement à travers tout le pays, ce qui est un atout formidable. Il faudra développer notre secteur privé qui est malheureusement resté à la traîne car nous avons beaucoup investi dans les infrastructures publiques. Le gouvernement souhaite ouvrir l’économie aux secteurs clés comme les télécoms, l’agroalimentaire, le minier et le tourisme dans lesquels nous voyons de forts potentiels de croissance. L’objectif est d’amener une bouffé d’air dans ces secteurs et d’amener le pays à faire grossir le PIB à moyen terme. Avec un  PIB de plus 100 milliards de dollars, nous espérons arriver à 1 000 milliards dans 20 ans. Je suis très confiant.

 

Propos recueillis par Charles de Blondin et Pierre d’herbès.

 


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