Site icon Billet de France

ENTRETIEN – Tour Triangle à Paris : «cette construction est une ineptie»

La tour Triangle est un gratte-ciel en construction au parc des expositions de la porte de Versailles (15e arrondissement de Paris). ©Herzog / De Meuron

La tour Triangle est un gratte-ciel en construction au parc des expositions de la porte de Versailles (15e arrondissement de Paris). ©Herzog / De Meuron

ENTRETIEN. En 2011, la mairie de Paris relance un projet immobilier : la construction d’un gratte-ciel pyramidal dans le XVème arrondissement, au parc des expositions de la porte de Versailles. Après de nombreux échecs, le projet pourrait voir le jour s’il ne faisait pas l’objet d’une plainte auprès du Parquet national financier. Billet de France s’est entretenu à ce sujet avec Olivier Rigaud, co-fondateur du Collectif contre la Tour Triangle et vice-président de l’association Jeunes parisiens de Paris.

 

ARTHUR BALLANTINE : Quelle est la genèse du conflit qui entoure la Tour Triangle depuis quatorze ans ?

OLIVIER RIGAUD : C’est en 2008 que le maire de Paris Bertrand Delanoë rend le projet public. La première adjointe au maire, Anne Hidalgo, est alors chargée de l’urbanisme et de l’architecture mais ce n’est qu’en 2011 que le projet cristallise l’intérêt. Avec d’autres associations nous avons alors attaqué la révision simplifiée qui constitue la porte d’entrée du projet : une modification du Plan local d’urbanisme (PLU) permettant de déroger aux règles de plafonnement de 37 mètres. Après le retournement de veste de sept conseillers de Paris, « Tour triangle 2 » a été votée, ce qui fait que le PLU prévoit aujourd’hui la possibilité de construire un immeuble de 180 mètres de haut sur cette parcelle ! L’enquête publique a montré à l’époque que plus de 80% des parisiens étaient hostiles à ce projet. Même le commissaire enquêteur estimait que l’intérêt général n’était pas démontré du fait de problèmes de transports. On pouvait très bien moderniser le Parc des expositions sans construire la Tour triangle.

 

A.B : Quel est alors le projet avancé par la mairie de Paris ?

O.R : Lorsqu’Unibail, le groupe immobilier en charge du projet, a obtenu de la ville de renégocier le bail de construction du parc qui courrait jusqu’en 2026, il s’engageait à moderniser le parc, à investir 500 millions sur 10 ans et à faire du Hall 7 le premier centre de congrès européen. En réalité, celui-ci n’est pas dans la Tour Triangle et fait 2000 mètres carrés. En suivant les préconisations du cabinet de conseil KPMG, Unibail a donc construit un hôtel grand standing et un hôtel moyen standing avenue de la porte de la Plaine, qui a été livré il y a deux ans. Les conseillers de Paris s’y sont opposés soulignant l’absence d’intérêt général. Unibail s’est résolu à mettre un hôtel de standing dans la tour. Pour faire plaisir à la municipalité, un atrium et une salle d’exposition toute petite ont été rajoutés, tout comme quatre commerces sur l’avenue Ernest Renan lesquels se sont réduits à deux avec des permis modificatifs pour des raisons de sécurité.

 

A.B : Pourquoi les défenseurs du projet tenaient-ils tant à construire une tour ?

O.R : Nous avons rencontré l’architecte Françoise-Hélène Jourda qui faisait la démonstration que construire une tour aujourd’hui est une ineptie. Il faut savoir qu’une tour consomme énormément d’énergie primaire car au-delà de 20 étages, c’est l’acier qui prédomine avec un noyau en béton. Les normes-pompier prévoient un double plancher avec un espacement d’1m80, soit la hauteur d’une flamme. Plus gros encore, 25% de la superficie des planchers sert aux aspects techniques, ascenseurs et cages d’escaliers : la déperdition de place est prodigieuse, elle n’est pas dévolue à l’usage recherché. Cela fait que lorsque l’on construit une tour, cela coûte plus de 4 fois plus cher qu’un bâtiment basse consommation qui respecte les plafonnements. Les ombres portées apporteront sur le voisinage une obscurité qu’il ne connaissait pas durant plusieurs heures et des problèmes de reflet avec un effet-loupe apparaîtront. Aussi, les études d’impact montrent des risques importants pour la faune : de la sidérurgie serait alors entreprise pour éviter que les oiseaux ne confondent la paroi avec le ciel, un comble pour une tour dite transparente…

 

A.B : On pourrait vous rétorquer que tous ces bureaux pourraient être reconvertis en logements…

O.R : La conversion de ces bureaux en appartements est également une ineptie : on ne parlera évidemment pas de logement social. Or, qui paierait les charges ? De plus, la réversibilité nécessiterait des entrées, des cuisines, des salles de bain : cela coûterait odieusement cher. Pourrait-on faire pour autant des logements d’apparat avec une bonne adresse et une vue sur Paris ? Pas du tout : le mur donnant sur le Balardgone est le plus intéressant mais n’offre aucune visibilité, c’est un mur pompier, coupe-feu, aveugle ! La vue de ces appartements sera donc dirigée vers la partie Grand Parc du Parc des expositions. L’aspect esthétique de l’édifice va à l’encontre de l’horizontalité de la capitale. Celle-ci va attirer le regard : elle sera tout sauf transparente du fait du mur-sécurité, des cloisons, des doubles planchers. Si on les loue au prix de l’immobilier, il faut compter les charges, qui sont équivalentes au prix d’un loyer.

 

A.B : La Ville avance pourtant que la Tour s’intégrerait au Grand Paris axe Issy-Paris-Saint-Denis.

O.R : La Tour est un obstacle visuel mais il est aussi très abusif de prétendre que le XVème ait besoin de bureaux neufs. Il y a plus de 4 millions de mètres carrés de bureaux vides dans Paris et la Grande couronne ! Les tours ne résorbent pas le chômage, elles vont créer de l’activité pendant les trois à quatre ans de la construction mais ne serviront qu’à déplacer des emplois vers la Tour. Les entreprises des Tours Jumelles de New-York sont aujourd’hui dans la Silicon Valley et ne sont jamais retournées dans des tours, leurs salariés étant plus heureux dans des bâtiments plus humains, moins hauts. La Défense crée un attrait en termes d’affaires mais si on devait construire un « La Défense 2 », cela ne pourrait se faire que dans le cadre d’un plan directeur. Or, à la vue de la politique du logement d’Anne Hidalgo, les classes moyennes dans l’attente d’un enfant partent habiter dans des zones accessibles sur le plan financier, au nord-est de Paris. Si l’on veut absolument un centre d’affaires et afin d’éviter les phénomènes pendulaires, il faut le construire là où l’on force à se déplacer les cadres d’affaires et les cadres moyens.

 

A.B : Les parisiens paient-ils pour cette tour ?

O.R : C’est un sujet qui avait été mis en avant dès 2014 par les conseillers de Paris et qui a été repris dans le rapport de la chambre régionale des comptes. La redevance du bail à construction avait été évaluée à plus de 10 millions d’euros par an, ce qui est descendu à 6,5 millions, avec une somme minimale à 2 millions si la Tour n’est pas complétement occupée. Ce manque à gagner sera payé par le contribuable pendant la durée du bail, soit 86 ans. C’est exagéré! Anne Hidalgo se vantait il y a quelques années de vendre des actifs de la Ville de Paris. S’il est vrai qu’il y a eu de nombreuses donations et que la Ville se retrouve avec un patrimoine important, peut-être n’a-t-elle pas le moyen de gérer. Anne Hidalgo se targue d’être une bonne gestionnaire puisqu’elle a revendu pour 200 millions d’actifs appartenant à la Ville. Pourquoi se vanter de cela si on ne loue pas au prix du marché à coté ?

 

A.B : Le projet fait actuellement l’objet d’une plainte devant le Parquet national financier

O.R : Notre association s’était déjà portée une première fois devant le Parquet national financier mais le procureur avait classé sans suite. Depuis, un rapport de la chambre régionale des comptes d’Ile de France estime qu’il y a de graves anomalies dans le respect de la passation de marchés publics et qu’il y a certainement un délit de favoritisme en faveur d’Unibail, seul candidat au départ. Depuis la parution du rapport, Anticor, s’est constituée partie civile et nous avons réactivé notre plainte. Anne Hidalgo, s’était d’ailleurs retirée de ce poste à la suite des révélations du Canard enchainé qui révélait qu’Unibail payait des pages de publicité dans ses journaux politiques, nourrissant un soupçon de conflit d’intérêts ! Face à ce doute quant à la légitimité des baux à construction, le PNF pourrait demander la suspension du chantier. Nous comptons donc beaucoup sur le PNF.

 


Vous avez apprécié l’article ? Aidez-nous en faisant un don ou en adhérant

Quitter la version mobile