Les nouveaux prêtres tendent à porter de plus en plus la soutane. Image d'illustration

La soutane est un habit long et fermé, boutonné sur l’avant, le plus souvent de couleur noire chez les prêtres catholiques romains en France. Le pape porte traditionnellement une soutane de couleur blanche, les cardinaux rouge et les évêques violette. Si le port de la soutane n’est plus obligatoire partout aujourd’hui, il semble revenir dans les coutumes ecclésiastiques diocésaines. Que symbolise la soutane que porte le prêtre et quelle est son origine ? Pourquoi son usage se renouvelle-t-il chez les jeunes générations de clercs ordonnés ?

 

Commençons par poser quelques bases élémentaires pour les néophytes dont le débat sur la soutane n’aurait jamais résonné dans les oreilles ou en guise d’introduction historique. La soutane est l’habit traditionnel des prêtres catholiques romains en France depuis le XVIIe siècle. Son nom vient de l’italien sottana qui signifie « vêtement de dessous ». En effet, elle est portée en-dessous des habits liturgiques, au minimum le surplis qui la recouvre aujourd’hui encore au cœur. La soutane est donc avant tout un habit ordinaire du prêtre pour la vie de tous les jours qui signifie ostensiblement son appartenance au clergé. Elle est parfois encore portée par les servants d’autel comme tenue de service pour les offices liturgiques et les processions dans les paroisses.

 

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Il serait trop long de retracer ici les évolutions menant à son adoption et à sa forme actuelle telle que nous la connaissons. Notons cependant que le port d’un habit long et fermé fut depuis longtemps recommandé et même imposé par l’Eglise [1]. Le concile de Trente fut un tournant en la matière, tout comme sur bien d’autres sujets relatifs à la discipline du clergé. Il imposa universellement le port d’un habit distinctif et bienséant aux clercs, sans en préciser encore la forme ou la couleur qui s’imposeront dans les siècles suivants, variant selon les coutumes et disciplines locales. L’habit du clerc séculier s’affirma alors à l’instar de celui des religieux de différents ordres avant lui ou après lui.

Le port de la soutane est à la fois un rappel visible très concret de la consécration définitive du prêtre à Dieu par le choix libre du célibat pour le Royaume et de sa mission dans l’Eglise. A partir du Concile Vatican II et déjà quelques années avant lui, l’obligation de porter la soutane est levée de façon plus ou moins controversée en fonction des lieux [2]. Ce sont les responsables ecclésiaux locaux (évêques ou conférence des évêques) qui auront la charge de définir les règles et coutumes en la matière. Le clergyman, d’origine anglicane, se démocratisera peu à peu par soucis pratique et dans une volonté de mieux dialoguer avec le monde moderne et de s’ouvrir à lui. De son côté, le code de droit canonique stipule encore clairement : « Les clercs porteront un habit ecclésiastique convenable, selon les règles établies par la conférence des Évêques et les coutumes légitimes des lieux [3]».

 

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A ce jour, la soutane est systématiquement portée comme habit ordinaire de tous les jours par les membres du clergé des communautés dites « traditionnelles » ou classiques. Mais on peut remarquer qu’elle est également remise au goût du jour par un bon nombre de jeunes prêtres du clergé diocésain. Ceux-ci sont en effet de plus en plus préoccupés par leur identité sacerdotale au sein d’une société sécularisée et ils sont attentifs à la cohérence de leur choix de vie de se donner tout entier à Dieu et à son Eglise [4].

 

De l’importance du port de la soutane et de sa signification

Différente de l’aube ou des autres habits liturgiques, la soutane est un habit qui révèle clairement un statut particulier au sein de la paroisse et de la société en dehors du culte. Elle ne peut être dissimulée et expose celui qui la porte à témoigner ostensiblement de son état de personne consacrée à Dieu où qu’il se trouve. Sa forme prend racine dans les usages de l’antiquité où les hommes du culte, de la justice ou du savoir portaient un vêtement ample et long : la masculinité et le mouvement de la personne sont comme effacés, c’est son impartialité et sa dignité qui sont mises en avant pour montrer qu’il occupe une place particulière au milieu de ses pairs, qu’il représente plus que sa personne.

La toge des avocats, toujours portée aujourd’hui, dérive de la soutane des ecclésiastiques qui rendaient autrefois la justice en France en tant qu’hommes lettrés au service du pouvoir temporel ou ecclésiastique. La soutane, outre la dignité qu’elle signifie, se double pourtant d’une allure d’ascèse et de pauvreté chez ceux qui la portent du fait de leur mise au service de tous, notamment des plus pauvres dans les campagnes ou dans les villes. De nombreuses figures de prêtres tel le saint curé d’Ars en France ou saint Jean Bosco en Italie alimenteront cette vision de l’habit clérical comme étant celui d’une tenue de service et de disponibilité à tous de la part des hommes de Dieu.

 

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On retrouve ce double rapport de dignité et de sobriété dans la couleur noire de l’habit qui représente la mort au monde de celui qui consacre totalement sa vie à Dieu et son choix de vivre une vie pauvre et chaste. Mais le noir est aussi une couleur de distinction et d’élégance et demeure un marqueur de dignité pour celui qui le porte. Si elle est le signe de son autorité en tant que ministre ordonné de l’Eglise, il ne faut jamais oublier que l’autorité véritable est un service. Pour le prêtre, ce service se situe à la fois dans l’enseignement, le gouvernement et la sanctification des fidèles.

C’est en partie pour cela que l’Eglise recommande particulièrement au prêtre le port de la soutane comme vêtement quotidien : « En outre, la soutane -dans sa forme, couleur et dignité- est particulièrement indiquée car elle distingue les prêtres des laïcs et fait mieux comprendre le caractère sacré de leur ministère en rappelant au prêtre lui-même qu’il est toujours et en tout moment prêtre, ordonné pour servir, pour enseigner, pour guider et pour sanctifier les âmes, principalement par la célébration des sacrements et la prédication de la Parole de Dieu. Porter un habit clérical est, en outre, une sauvegarde pour la pauvreté et la chasteté [5] ».

Ainsi, la forme et la couleur de la soutane renvoient à certains absolus qui placent le prêtre qui la porte dans une situation de témoin de sa vie donnée et le distinguent de l’état et du style de vie de ses contemporains. Le prêtre un est homme d’Eglise, il appartient à Dieu. La soutane est pour tous le signe ce cette mise à part singulière ; elle renvoie à une réalité autre que celle dans laquelle les hommes évoluent sans plus y penser. Naturellement, elle apparaît plus porteuse de sens que le simple clergyman.

 

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Ce port d’un habit extérieur signifiant répond encore aujourd’hui à une demande explicite de l’Eglise à ses prêtres d’être témoin de leur ministère public jusque dans leur tenue vestimentaire quotidienne : « Dans une société sécularisée et qui tend au matérialisme, où les signes extérieurs des réalités sacrées et surnaturelles s’estompent souvent, on ressent, particulièrement aujourd’hui, la nécessité pour le prêtre -homme de Dieu, dispensateur de ses mystères- d’être reconnaissable par la communauté, également grâce à l’habit qu’il porte, signe sans équivoque de son dévouement et de son identité de détenteur d’un ministère public [6] ».

 

Un habit pour une conception du Sacerdoce ?

Si dans l’inconscient collectif de l’image d’Epinal du prêtre ou du curé reste sans doute le personnage bonhomme de don Camillo incarné par Fernandel, la réalité est autre et la bonne santé et la bonne estime de soi des prêtres français sont aujourd’hui plus problématiques [7]. Qu’en est-il de leur visibilité dans l’Eglise et dans la société ? Comment considère-t-il leur dignité d’être prêtre de Jésus-Christ pour l’éternité, d’être au service de son Eglise ? C’est à ce niveau que se situe le fond de la querelle du port de la soutane chez les jeunes prêtres. Après le Concile Vatican II et jusqu’à aujourd’hui encore, on peine à définir l’identité du prêtre et son rôle dans une société de plus en plus sécularisée et parfois au sein même de l’Eglise.

Les réalités invisibles -Dieu notamment- sont reléguées à la sphère privée ou à une inexistence probable. Dans cette situation, on comprend qu’un signe visible et éloquent du choix définitif de servir Dieu et l’avènement de son Royaume sur la terre interroge ou dérange. Pour beaucoup, la soutane est encore le symbole d’un passé révolu où l’Eglise prenait trop de place dans la société et les consciences, où le prêtre dominait tragiquement l’Eglise.

Faut-il parler alors de rupture dans la définition du prêtre catholique ? Doit-on inviter à un changement de paradigmes du style de vie des prêtres du fait d’un rapport renouvelé de l’Eglise avec la modernité ? De rupture dans le Sacerdoce et le sens de l’Ordre, il ne peut pas en être question [8] ; une adaptation de leurs habitudes de vie et un positionnement mieux compris et ajusté par rapport aux laïcs, cela peut être concédé. La radicalité du don de la vie des prêtres à Dieu et à l’Eglise ne change pas cependant. Les vocations sacerdotales demeurent un don de Dieu pour l’Eglise et non le fruit d’un projet personnel quelconque.

 

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La vocation consacrée engage la liberté d’une personne qui consent par amour à se donner corps et âme au service de l’Eglise de Dieu, à la suite du Christ. Dans ce sens, le port de la soutane, bien qu’il soit exigeant et parfois mal interprété, aide le prêtre à entrer dans une véritable pédagogie du don de soi et du service [9]. La soutane aide aussi ceux avec qui il interagit à voir dans sa vie donnée et ses activités quotidiennes le signe des réalités surnaturelles que nous avons plus de difficultés à contempler de nos jours. Au-delà de toutes les polémiques et des nouvelles habitudes prises, il est sans doute crucial de renouveler notre appréhension des signes et des symboles des réalités sacrées : ce sont ces signes et ces symboles qui nous donnent accès à d’autres réalités, invisibles, nécessaires à notre foi et à notre salut.

Le port de la soutane -surtout dans les temps troubles qui sont les nôtres- nous invite à porter un regard renouvelé sur les dons de Dieu pour son Eglise et sa Présence fidèle à travers ses ministres ordonnés, « serviteurs de notre joie [10] » au cœur de ce monde ; elle est aussi un témoignage certain pour tous ceux qui, incessamment, osent interpeller ou non les prêtres dans la rue pour discuter, se confier, être pardonné… S’attacher à l’identité du prêtre et à sa visibilité au sein de son Eglise et de notre société c’est aussi laisser Dieu prendre sa place légitime au sein de notre génération et de notre culture.

 


[1] Sur le sens et la signification des habits liturgiques et sacerdotaux, on peut s’intéresser au Rational de Durand de Mende qui donne un bon exemple au XIIIème siècle des us et coutumes liturgiques et de leur sens théologique.

[2] Pour plus de précisions sur le sujet : cf. l’ouvrage de M. Luc Perrin, Paris à l’heure de Vatican II, préface d’Émile Poulat, Paris, Les éditions de l’atelier, 1997.

[3] CIC §284.

[4] Prêtres de la génération Jean-Paul II : recomposition de l’idéal sacerdotal et accomplissement de soi, par Céline Béraud. Article accessible ici

[5] Directoire pour le ministère et la vie des prêtres, Congrégation pour le clergé, 2013, §61.

[6] Ibid

[7] Cf. par exemple l’étude officielle sur la santé des prêtres en activité en 2020 disponible ici

[8] Cf. Hb 7, 23-28. On peut lire aussi un bon ouvrage sur le sujet pour s’en convaincre : L’Ordre sacerdotal et l’avenir de l’homme, Paul Toinet, FAC éditions, 1981.

[9] Cf. Don Paul Préaux, Les prêtres, don du Christ pour l’humanité, Artège, 2020, pp. 155s.

[10] Benoît XVI, Serviteurs de votre joie, Méditations sur la spiritualité sacerdotale, Fayard, 2005

 


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