Site icon Billet de France

« Wokisme » : comment expliquer cette déferlante en Occident ?

Manifestation Black Lives Matter à Washington en 2020. ©Yash Mori

Manifestation « Black Lives Matter » à Washington en 2020. ©Yash Mori

Le wokisme est une idéologie anglo-américaine qui consiste à « être conscient », « éveillé » face aux problèmes liés à la justice sociale et à l’égalité raciale. Très présente en Occident, cette tendance révolutionnaire ne semble pas prendre ses marques ailleurs. Une analyse publiée sur le site du Diplomate.

 

Il y a parfois des privilèges dont on se passerait bien ! Certains pourraient répondre qu’il s’agit d’une question d’appréciation, soit ! Force est de constater que le wokisme a pris naissance dans les sociétés occidentales et n’a pas, depuis, véritablement élargi son périmètre géographique constitué des États-Unis, du Canada, des pays d’Europe de l’Ouest, de l’Australie et de la Nouvelle-Zélande. Il existe certes des velléités d’aller par exemple en Asie, mais elles demeurent néanmoins marginales. Comment expliquer à la fois cet ancrage géographique et la rapidité avec laquelle ce mouvement a étendu son influence, sachant que c’est un euphémisme, car il serait plus approprié de parler d’une véritable déferlante ?

 

Héritage d’une longue tradition, passé peu glorieux, culpabilité et victimisation à outrance

Les démocraties modernes, notamment celles qui ont émergé en Occident, ont historiquement été des terrains fertiles pour les mouvements sociaux et les luttes individuelles visant à défendre les droits et les libertés. La philosophie des Lumières a indéniablement joué un rôle important en prônant des idées telles que la liberté individuelle, l’égalité et la justice sociale. Ainsi, le wokisme peut être considéré comme s’inscrivant dans la continuité des nombreux mouvements qui ont eu lieu, par exemple, pour l’accès aux droits civiques, l’égalité des droits, la lutte contre le racisme et l’homophobie. Mais n’oublions pas que la démocratie est la marque des sociétés occidentales, et qu’elle permet, ou plus exactement autorise, l’expression de multiples revendications. C’est là un élément clé, et l’on ne peut d’ailleurs que s’en réjouir.

 

LIRE AUSSI → Souveraineté : la France face à son destin

 

Les sociétés occidentales sont bien évidemment loin d’être parfaites, et c’est le moins que l’on puisse dire. Une partie de leur histoire est marquée, entre autres, par des génocides, l’esclavage, la colonisation et des guerres. Ces événements laissent forcément des traces. Nul ne peut ignorer le racisme, les discriminations et les injustices dont certains groupes de population ont été victimes. Bien qu’il y ait eu des avancées formidables, la situation est loin d’être parfaite. Il ne faut pas sous-estimer les souffrances passées et présentes. Ces souffrances engendrent du ressentiment, voire de la haine, car cela fait partie de la nature humaine. On peut facilement le concevoir. Tout événement a ses causes ! Certains assument totalement la fronde qu’ils mènent contre les sociétés occidentales dans un esprit vindicatif, c’est-à-dire revanchard.

Au regard de ce passé peu glorieux, les Occidentaux ont cultivé une incroyable capacité à se complaire dans une culpabilité permanente. Il y aurait une sorte de dette à payer, l’Occident serait donc redevable envers certains groupes de population. Les Occidentaux ont développé l’autodépréciation que certains n’hésitent pas à qualifier de haine de soi. Les wokes le savent, et ils en usent et en abusent. La victimisation à outrance est l’une des facettes du wokisme. Et cela fonctionne à merveille, ce qui crée bien souvent de nouvelles injustices, ainsi que le sentiment qu’il y a un deux poids deux mesures, car pour les wokes, mais pas uniquement les wokes d’ailleurs, si un bourreau est issu d’une minorité, c’est avant tout parce qu’il a justement été une victime. La culture de l’excuse est le pendant de la démarche de victimisation, qui elle-même vient en opposition avec la responsabilité individuelle.

Et l’une des caractéristiques des pays occidentaux, particulièrement ceux d’Europe de l’Ouest, est d’avoir eu recours à une immigration provenant justement des pays qu’ils ont colonisés. Les conflits, les luttes, les affrontements, les atrocités laissent des traces indélébiles que seul le temps peut effacer. Or, les processus de colonisation et de décolonisation sont très récents à l’échelle de l’humanité. On ne parle finalement que de quelques siècles, voire de quelques décennies. Les traces du passé ne s’effacent pas facilement. Et ce n’est pas un hasard si, dans les minorités ethniques qui composent le mouvement woke, on retrouve massivement les populations issues des anciennes colonies.

 

LIRE AUSSI → Euthanasie : le « en même temps » en état de mort cérébrale

 

Maintenant, pourquoi le wokisme a-t-il réussi à s’imposer de manière aussi rapide ? Plusieurs facteurs expliquent la déferlante du wokisme. Ils ont tous leur importance et s’imbriquent les uns aux autres.

 

Mouvement révolutionnaire et méconnaissance

Tout d’abord, le wokisme revêt une dimension subversive qui séduit forcément une partie de la population. Il représente le mouvement révolutionnaire du XXIe siècle, succédant en quelque sorte au marxisme du XXe siècle. Il attire tous ceux qui veulent renverser l’ordre établi, dont une partie de la jeunesse qui, par nature, exprime le besoin de rébellion et le désir de changer le monde. Dès lors que l’on considère le wokisme comme un mouvement révolutionnaire, on peut facilement admettre qu’il agrège aussi des personnes qui se fichent royalement de l’idéologie woke et qui ne voient dans ce mouvement qu’un moyen. Le wokisme est le cheval de Troie des révolutionnaires d’aujourd’hui et d’hier.

Puis, le wokisme surfe sur la méconnaissance, car l’écart entre ce que l’immense majorité des gens imagine et la réalité est tout simplement gigantesque. Les causes mises en avant par ce mouvement sont totalement légitimes et c’est là, la grande force du wokisme. Si l’on ignore ce qui se cache derrière le wokisme, alors on peut naturellement y adhérer, et à minima lui accorder de la sympathie. En effet, qui est contre la lutte contre le racisme, les discriminations et les injustices ? Il faut sans cesse rappeler que c’est le wokisme qu’il faut combattre, et non pas les causes que ce mouvement est censé défendre. Trop peu de personnes sont conscientes de la radicalité du wokisme et de ses dangers. La plupart des gens ne savent pas, par exemple, que les wokes ont fait renaître le concept de race, qu’ils aspirent à « décoloniser » et à supprimer « la blanchitude » des programmes scolaires, qu’ils estiment que la norme hétérosexuelle n’est qu’une pure invention, ou qu’ils accusent la médecine d’être « grossophobe » parce qu’elle met en évidence le lien entre l’obésité et les maladies graves. Ce ne sont là que quelques exemples parmi tant d’autres.

 

Spiritualité en berne et phénomène de mode

Autre facteur, le déficit de spiritualité qui est la conséquence du processus de sécularisation dans nos sociétés occidentales, et de la perte de vitesse de la religion chrétienne. La nature ayant horreur du vide, le besoin de quête de sens est comblé par une idéologie porteuse justement de sens : le wokisme en l’occurrence, mais ça peut-être aussi le cas en ce qui concerne l’écologie. Vide pouvant être également comblé par une religion, et l’on observe d’ailleurs beaucoup de jeunes de culture Chrétienne, se convertir à l’Islam.

 

LIRE AUSSI →  Chine : le triple démisme de Sun Yat-Sen

 

Le wokisme est aussi un phénomène de mode. Pour certains, le wokisme, c’est le train de l’histoire qu’il faut prendre. C’est branché d’être woke ! Et puis, c’est devenu carrément tendance dans certains milieux. Les publicitaires sont d’ailleurs les champions du monde pour s’accrocher aux tendances nouvelles.

 

Hyper sensibilité et paradoxe de l’insatisfaction croissante

Les Occidentaux sont incontestablement les privilégiés de la planète, notamment les jeunes générations qui, fort heureusement, n’ont pas connu de guerres ni de terribles problèmes économiques, alimentaires, sanitaires, etc. Les habitants des pays occidentaux bénéficient d’importants avantages et privilèges par rapport à ceux de nombreux autres pays du monde. Ce côté extrêmement positif, il est bon d’insister sur ce point, a pourtant une conséquence : il fragilise d’une certaine manière les individus. Beaucoup sont incapables de faire preuve de combativité ou d’affronter la moindre contrariété. Ils ont développé une hypersensibilité, recherchant un monde aseptisé, un monde de « bisounours », fuyant toute surcharge émotionnelle, pour reprendre la terminologie des wokes. Les différentes luttes menées dans le monde occidental ont tout de même permis d’importantes avancées dans le combat contre le racisme, les discriminations et les injustices. Même si tout est loin d’être parfait, il y matière à s’en féliciter. Néanmoins, on assiste à une véritable explosion du nombre de revendications qui rappelle le paradoxe de l’insatisfaction croissante théorisé par Tocqueville. En résumé : plus une situation s’améliore (liberté, santé, éducation, droits individuels, revenus, etc.), plus l’écart restant avec la situation idéale est ressenti comme intolérable par ceux-là mêmes qui bénéficient de cette amélioration.

 

Diabolisation et cancel culture

Et il y a les techniques utilisées par les wokes pour s’imposer par la force et faire taire toute parole dissidente. C’est dissuasif, et c’est le but recherché. En pratique, le wokisme est très peu contré et, par conséquent, ne rencontrant pas d’obstacle majeur, il étend plus facilement son influence

La première technique est celle de la diabolisation. Les wokes se plaçant dans le clan du bien, dans le clan de la bien-pensance auto-proclamée, les opposants s’exposent à être diabolisés en étant traités de racistes, d’homophobes, de transphobes, de misogynes, de fascistes, etc. La complexité des choses est effacée au profit d’une vision simple, manichéenne, binaire avec d’un côté le clan du bien et de l’autre le clan du mal, en usant d’un simplisme qui joue volontairement sur les peurs, les sentiments, les émotions et la morale. Et comme le dit la philosophe Bérénice Levet, le simplisme est une arme de séduction massive. La diabolisation est d’une efficacité redoutable car beaucoup de personnes ont peur d’être accusées d’appartenir au clan du mal, voire même, d’être accusées de faire le jeu du clan du mal. C’est ça la réalité !

 

LIRE AUSSI → Religion : «Nos gouvernants refusent d’admettre ce qu’est la laïcité et l’Islam»

 

La seconde technique consiste à tuer socialement les opposants, c’est l’un des aspects de la cancel culture, également connue sous le nom de culture du bannissement en français. Il est difficile de résister aux pressions et aux menaces, qui peuvent même aller jusqu’à des menaces de mort. Beaucoup de personnes ne sont pas préparées mentalement à y faire face, alors elles cèdent ou renoncent.

Les wokes imposent leurs idées avec force, et il y a une forme de terrorisme intellectuel. Quand le planning familial en août 2022 sort une affiche avec en titre « on sait que des hommes aussi peuvent être enceints », non seulement cette association menace de faire un procès à ses contradicteurs, mais la presse bien-pensante et complaisante, n’hésite pas à faire le lien entre la polémique suscitée par cette affiche d’une provocation hallucinante et les milieux d’extrême droite, histoire de diaboliser au passage ceux qui auraient quelques commentaires à faire sur cette affiche.

Avec la diabolisation et la cancel culture, la plupart des personnes ont finalement le choix entre le silence et le conformisme. Le wokisme avance sans rencontrer de véritable opposition. Il est surprenant de constater l’absence d’une réponse concertée et résolue de la part des gouvernements occidentaux. 

 


Vous avez apprécié l’article ? Aidez-nous en faisant un don ou en adhérant

Quitter la version mobile