Paul-Émile Victor est un explorateur polaire, scientifique, ethnologue, écrivain, fondateur et directeur d’expéditions polaires pendant 29 ans. Retour sur la vie de cet explorateur des extrêmes.
Né le 28 juin 1907 à Genève (Suisse) de parents français immigrés d’origine juive d’Europe Centrale, le jeune Paul-Émile passe son enfance dans le Jura. Son père, Erich Heinrich Victor Steinschneider est issu d’un milieu aisé de juristes et d’industriels originaires de Bohème tandis que sa mère, Maria Laura Baum est issue d’une famille bourgeoise de Cracovie. En 1916 son père crée une deuxième usine à pipe et se diversifie en 1928 dans la fabrication de stylo. Très tôt, Paul-Émile se réfugie dans le grenier de la maison pour dévorer tous les récits d’aventure, d’explorations qu’il trouve, faisant ainsi germer dans son esprit le désir de découverte, la passion des voyages polaires et polynésiens. C’est dans cette continuité qu’il rentre aux Éclaireurs de France dont il deviendra responsable local.
En 1925, son baccalauréat de maths-philo en poche, le jeune étudiant poursuit son cursus dans l’ingénierie à l’École centre de Lyon, qu’il quitte sans diplôme à la fin de la troisième année en 1928 pour l’École nationale de navigation maritime dont il vient de réussir le concours d’entrée. D’abord incorporé en 1929 en tant que matelot de deuxième classe à Toulon dans la marine, Paul-Émile devient élève sous-officier puis aspirant. Déçu par celle-ci, il la quitte. En 1931, il obtient son brevet de pilote d’avion avant d’être employé les deux années suivantes dans l’entreprise de son père « les Établissement E.H ». C’est pour accomplir une partie de son rêve qu’il monte à Paris suivre notamment les cours de Marcel Mauss, considéré comme le « père de l’anthropologie française », à l’institut d’ethnologie du Trocadéro dont il reçoit le diplôme en 1933.
Premières expéditions au Groenland (1934-1939)
Depuis son enfance, toutes ses actions sont orientées pour accomplir son rêve : études (ingénieur, diplôme d’ethnologie, certificats de licences de Lettres) et carrière professionnelle (officier de marine notamment pour apprendre à naviguer).
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En 1934, grâce au musée d’ethnographie du Trocadéro et à sa rencontre improbable avec le célèbre commandant et explorateur français, Jean-Baptiste Charcot, Paul-Émile embarque sur le « Pourquoi Pas ? », navire d’exploration polaire. Avec ses trois compagnons, l’anthropologue Robert Gessain, le géologue Michel Perez et le cinéaste Fred Matter-Steveniers, il débarque à Angmagssalik (Ammasalik aujourd’hui) sur la côte est du Groenland. L’équipe commence rapidement l’étude ethnographique de la communauté esquimaude. Cette dernière à la particularité de vivre isolée sur la côte est du Groenland jusqu’en 1884, date à laquelle elle est découverte. C’est au cours de cette année qu’il apprend à parler couramment leur langue. Son expérience et son exceptionnel sens de la communication le consacrent médiatiquement à son retour en France en 1935 où ses conférences et articles sont très appréciés.
Accompagné de Robert Gessain, Michel Ferez et d’Eigil Knuth (spécialiste de la préhistoire du nord du Groenland), Paul-Émile retourne au Groenland en 1936 pour réaliser la traversée de cette grosse île d’ouest en est. C’est en chiens de traîneaux que l’équipe part de Christianshaab à la mi-mai, pour arriver un peu moins de deux mois après à Angmagssalik, sur la côte est réalisant un exploit de 800 kilomètres. Arrivée à destination, Paul-Émile reste vivre quatorze mois dans une famille inuit, peuples vivants dans les régions arctiques d’Amérique du Nord, « comme un Esquimau parmi les Esquimaux ». Durant cette période il entretient une relation avec une jeune et inuit de dix-neuf ans. Cette aventure lui permet de continuer son travail d’ethnologue ainsi que d’enregistrer certains chants esquimaux dont il retranscrit les paroles phonétiquement. Son retour en France est encore triomphal et les articles de presse ne manquent pas d’éloge.
En 1938, il effectue un raid transalpin Nice-Chamonix en compagnie de Michel Pérez et du commandant Flotard. Par cette expédition de 230 km en chiens de traîneaux, il démontre avec succès l’importance de ce moyen de transport polaire pour l’Armée française lors d’hivers rigoureux en montagne. L’année suivante, il se rend en Laponie norvégienne, finlandaise et suédoise pour une étude ethnologique sur les Samis, peuple autochtone vivant à cheval au nord de ces pays.
Pilote de guerre (1942-1945)
La Seconde Guerre Mondiale arrive. Mobilisé dans la marine française basée à Stockholm en Suède, Paul-Émile effectue ses missions d’officier de renseignement et d’agent de liaison avec la Finlande (guerre finno-russe) jusqu’à l’armistice de 1940. La guerre l’emmène alors au Maroc puis en Martinique où il réalise plusieurs missions ethnologiques avant de se rendre aux États-Unis en juillet 1941. L’année suivante, il s’engage comme lieutenant-instructeur, pilote et parachutiste dans l’US Air Force avant de créer et devenir commandant de l’escadrille « recherche et sauvetage » pour pilotes perdus dans un milieu qu’il connait bien, le milieu polaire : de l’Alaska au Groenland en passant par le Canada. Ce n’est qu’en décembre 1945 qu’il rentre en France et épouse Éliane Decrais (1918-2017) avec qui il aura trois enfants.
Chef des Expéditions polaires françaises (1947-1976)
Officiellement démobilisé en juillet 1946, six mois après son retour en France, Paul-Émile Victor convainc le gouvernement français de l’importance d’organiser des expéditions scientifiques en Arctique et Antarctique. En février 1947, c’est chose faite. Grâce à son charisme, son don pour les relations publiques et à quelques relations en politique, il crée et dirige les Expéditions Polaires Françaises (EPF) la même année (jusqu’en 1976). Durant ces 29 années de direction, 150 expéditions sont organisées dont 17 d’entre elles par lui-même directement. En 1956, il part pour la première fois en terre Adélie où il installe quelques années plus tard la base Antarctique Dumont d’Urville et la base Charcot, 320 km à l’intérieur du continent Antarctique.
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Par sa seconde femme, qu’il épouse en 1965 et qui se trouvait être sa voisine de péniche sur la Seine à Paris, il s’investit dans le mouvement écologiste avec la création en 1974 du « groupe Paul-Émile Victor pour la défense de l’homme et de son environnement ». S’engageant de plus en plus dans ce mouvement écologiste, il prend sa retraite à 69 ans en 1976 de l’EPF et devient membre du Conseil consultatif des Terres australes et antarctiques françaises (TAAF).
Retraite en Polynésie (1976-1995)
Afin de réaliser son deuxième rêve, il s’installe avec sa femme en Polynésie pour y passer sa retraite. Entre les réceptions de scientifiques de passage chez lui, il y rédige ses mémoires, écrit des articles grâce à son aura médiatique acquis des décennies plus tôt et dont il bénéficie toujours. C’est à l’hôtel Drouot à Paris, qu’il vend sur catalogue en octobre 1982 ses « 125 mètres linéaires de bibliothèque » impossibles à déplacer, l’objectif étant d’éviter que celle-ci ne finisse dans un musée. A l’occasion de ses 80 ans en 1987, il retourne en terre Adélie puis au pôle Nord avec notamment Nicolas Hulot. Il est frappé l’année suivante d’un accident vasculaire cérébral le paralysant de moitié. Il décède le 7 mars 1995 sur son île de Bora-Bora. Conformément à sa dernière volonté, il est immergé en haute mer en Polynésie par la Marine Nationale. Paul-Émile Victor était également consul du royaume d’Araucanie et de Patagonie.
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