Depuis plus de 30 ans, le rêve arc-en-ciel sud-africain se fait toujours attendre. Image générée par IA.

Depuis plus de 30 ans, le rêve arc-en-ciel sud-africain se fait toujours attendre. Image générée par IA.

Depuis l’avion, Johannesburg s’impose par ses contrastes : d’abord le vide, puis la savane, et soudain, la ville. Des gratte-ciel côtoient une nature luxuriante, entrecoupée de bidonvilles, illustrant les profondes inégalités qui marquent l’Afrique du Sud.

 

Après quelques péripéties causées par le retard de mon vol, l’avion se pose enfin à Johannesburg, Joburg pour les intimes. Il m’a été recommandé d’utiliser un Uber pour me rendre à l’hôtel. Premier signe de l’insécurité dans cette ville tristement célèbre pour sa criminalité endémique et ses taxis malhonnêtes, voire dangereux. Utiliser l’application est donc un moyen sûr d’éviter tout problème.

 

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Mon chauffeur arrive, et à ma surprise, il est « blanc ». Mon imaginaire me représentait plutôt les afrikaners en fermiers défendant leur terre ou en riches industriels, mais certainement pas en chauffeur ayant du mal à joindre les deux bouts. Rapidement, la discussion avec Benji (le chauffeur) s’engage, me permettant de confronter mes caricatures du pays à la réalité d’un local. Nous arrivons à échanger malgré deux accents bien prononcés ; français pour moi et afrikaners pour lui autour du métro dans la capitale. En regardant par la vitre du truck qui me conduit à l’hôtel, je m’aperçois que les infrastructures sont plutôt bonnes.

 

Une nation divisée

« Il y avait un métro, mais il ne marche plus » rit tristement Benji avec un ton très amical. « D’ailleurs, il y avait aussi un super tramway et même un réseau de trains exceptionnel. Mais tout cela a disparu. En ne sachant pas les entretenir, ‘ils’ ont tout en détruit ». Quelques jours sur place suffiront à nuancer ce propos : grâce à la RATP, la région de Johannesburg possède un réseau ferroviaire efficace : le « Gautrain » qui relie le quartier d’affaire à l’aéroport en seulement 15 minutes.

Peu de temps me suffisent à connaître l’identité de ce fameux « Ils » : l’ANC, parti héritiers de Nelson Mandela, accusé par l’opposition, notamment la Democratic Alliance, d’avoir détruit ce pays sans avoir réussi à concrétiser le rêve d’unité et de prospérité tant annoncé pendant leur lutte contre l’apartheid. Tout en critiquant fermement la classe politique dans son ensemble et aussi surprenant que cela puisse paraître, Benji m’annonce regretter ce temps de l’apartheid, alors même qu’il ne l’a pas connu.

Pourtant, le pays a eu des élections législatives historiques en mai dernier. Pour la première fois depuis la fin de l’apartheid, l’ANC n’a pas réussi à emporter la majorité absolue et a dû former un gouvernement de coalition en quelques semaines. Cet événement, renforçant l’État de droit dans le pays, a été d’autant plus marquant que le parti de Mandela a reconnu sa défaite le soir même. Un comportement pour le moins inhabituel en Afrique, qui a rassuré les investisseurs étrangers.

 

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Derrière la critique acerbe de Benji, émerge une plaie ouverte dans la mentalité sud-africaine : le pays reste divisé entre deux populations. Les « blancs » les plus aisés semblent s’être accommodés depuis longtemps de l’ANC, tandis que les plus défavorisés se sentent marginalisés et en danger, nourrissant un sentiment mêlé de nostalgie et de colère.

Le trajet à travers Johannesburg se termine autour d’une discussion sur un autre atout de l’Afrique du Sud : sa nature époustouflante. Une richesse à mettre au crédit des derniers gouvernements. Le pays a en effet su préserver ses espaces naturels contre la chasse et le braconnage. La compétence de ses gardes forestiers est si reconnue que le pays a su la valoriser et l’exporter ailleurs en Afrique. Au Bénin, le parc national de la Pendjari a été concédé à l’ONG sud-africaine African Parks Network, qui y a déployé son expertise en matière de gestion et de formation anti-braconnage. De même en République Démocratique du Congo (RDC) où la société African Parks gère le parc de la Garamba dans la province du Haut-Uélé ou encore au Mozambique, au Burkina Faso et au Niger.

 

Une balade à travers les contrastes : de l’opulence à la survie

Le lendemain, ne disposant pas assez de temps libre pour profiter de Johannesburg, je décide de commander un Uber pour me rendre à Soweto. Ce quartier, où a vécu Nelson Mandela, était un township, un quartier « réservé aux noirs », particulièrement engagé dans la lutte contre l’apartheid. Cette balade en voiture est une nouvelle occasion de traverser Joburg, de jour cette fois-ci, et d’en prendre le pouls. Le trafic est fluide et le niveau de vie des Sud-africains comparés aux visites que j’ai pu faire au Proche et Moyen-Orient, est surprenant.

 

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Le parc automobile est en bon état, souvent récent, avec des marques européennes souvent assez coûteuses. A contrario très peu de voitures chinoises sont présentes. L’urbanisme ressemble à s’y méprendre à celui des États-Unis : de grandes routes larges entourées de parcs, de grands parkings autour de grandes tours. Côté social, l’obésité répandue observée dans les rues accentue non seulement cette ressemblance avec les États-Unis, mais témoigne aussi d’une économie qui, visiblement atteint le niveau d’une économie moderne et diversifiée. Pourtant, en voyant ce corps morbide avancer sur le trottoir, je repense à cet autre corps épuisé par la malnutrition, croisé quelques rues plus tôt.

 

La violence comme héritage

L’image d’un pays aux inégalités fortes, voire criante se confirme vite. Un rapport de la banque mondiale indiquait en 2010 que 80 % des richesses sont aux mains de 10 % de la population. A Johannesburg, les contrastes sont marquants. Des gratte-ciel imposants, des maisons résidentielles tout droit sortie d’une série télévisée américaine… puis des tôles rouillées, les bidonvilles. Partout, des barbelés comme une ville assiégée. L’image d’un pays dangereux s’impose : tout le monde est sur le qui-vive. La nuit, l’hésitation n’est plus permise. Les panneaux avertissant d’une réponse armée en cas de violation de la propriété privée, que ce soit par une société de sécurité privée ou par le propriétaire lui-même, jalonnent les habitations. Tout semble renforcer cette impression d’insécurité.

 

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Ces images me renvoient à un expatrié de passage en France qui me confiait que « la plupart des maisons cossues ont les chambres au centre de la maison. Un système de sécurité bloque ainsi le centre de la maison avec des portes blindées au cas où une intrusion à lieu. Ainsi, les cambrioleurs peuvent se servir sans mettre en péril la vie des habitants ». Une pensée glaçante, où la sécurité s’immisce dans l’intimité, où la maison est à la fois refuge et forteresse. Comme le rappellent les nombreux signes « armed response » et « free gun zone » à Johannesburg, les armes sont en libre-service.

 

L’apartheid : une ombre omniprésente

Ce climat de tension ne s’apaise pas en arrivant à Soweto, où je me retrouve seul blanc au milieu d’une population noire. Un sentiment parfois connu en France, mais qui ici prend une dimension plus troublante. Là où les regards étaient au mieux accueillants au pire dédaigneux, je sens désormais des regards inquisiteurs. Un ami, habitué de l’Afrique du Sud, m’expliquait ainsi qu’il n’avait souvent que des regards menaçants jusqu’au moment où certains habitants comprennent que nous sommes un touriste et non un afrikaner. Il me confiait ainsi ; « Si l’apartheid est fini depuis longtemps, il est encore dans tous les esprits ». Une phrase qui revient en mémoire lorsqu’en longeant un bidonville, je croise un tag « one settler, one bullet ».

 

La division entre les Blancs et les Noirs persistent. Image générée par IA.

 


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