Le maire d'Odessa a refusé d'enlever la statue d'Alexandre Pouchkine devant la Mairie. ©Charles de Blondin

Le maire d'Odessa a refusé d'enlever la statue d'Alexandre Pouchkine devant la Mairie. ©Charles de Blondin

Près de trois ans après le début de la guerre, la Russie poursuit sa guerre du froid. Le bombardement des infrastructures énergétiques de l’Ukraine répond à un objectif simple : briser le moral de la population. De son côté, Kiev accentue sa politique d’effacement de la culture russe commencée à la chute de l’Union Soviétique notamment à Odessa.

 

La nuit tombée, le vacarme des générateurs continue. En cette fin d’année, le thermomètre affiche des températures négatives à Odessa. Le froid, la neige et le vent s’invitent pour la 3e année consécutive à cette guerre qui a déjà fait plusieurs centaines de milliers de victimes (morts, blessés et disparus) sans qu’aucune source officielle n’en confirme véritablement le nombre. Les températures extérieures entraînent une augmentation des besoins électriques, mais la production peine à suivre. La moitié de la capacité de production électrique de l’Ukraine a été soit détruite, soit endommagé, soit est sous contrôle russe selon l’Agence internationale de l’énergie (AIE).

 

Les rues sont parsemées de générateurs de divers tailles pour alimenter les commerces en électricité. ©Charles de Blondin

 

Le fatalisme de la guerre

A Odessa, les coupures électriques sont le quotidien des habitants. Des générateurs ont été mis à disposition par les autorités locales pour faire face à la demande privatisant de plus en plus l’électricité. Au Parc Chevtchenko, le plus grand espace vert de la ville, les éclairages publics sont éteints. Dans le centre-ville, de nombreuses rues ne sont éclairées qu’avec les feux des voitures qui passent ou par les vitrines des commerces branchées sur générateur.

 

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« Nos équipements peuvent tomber en panne pour une durée indéterminée en raison des pics de charge » prévient l’hôtel dans lequel nous sommes descendus et qui dispose lui aussi d’un générateur suffisamment imposant pour l’ensemble du bâtiment lorsque l’électricité publique est en panne. « Pour éviter la surchauffe des générateurs de l’hôtel et leur défaillance, nous sommes obligés de mettre en place des horaires de fonctionnement des générateurs. » précise une fiche explicative présente dans l’ensemble des chambres.

Malgré la guerre, les habitants d’Odessa continuent de vivre « presque » comme avant depuis déjà presque trois ans. Une habitude qui pose des problématiques de sécurité que l’hôtel rappelle explicitement dans une note : « N’ignorez pas les sirènes de raids aériens ! Si vous entendez un signal sonore, veuillez vous rendre dans l’abri de l’hôtel ».

 

L’hôtel appelle à respecter les mesures de sécurité en vigueur. ©Charles de Blondin

 

La guerre entraîne également son lot de destructions. En cette fin d’année, plusieurs zones résidentielles de la ville ont déjà été touchées faisant une dizaine de morts en novembre dernier. Dans le but de faciliter l’accès aux mécanismes d’assistance internationale d’urgence, le centre historique d’Odessa a été inscrit le 25 janvier 2023 sur la liste du patrimoine mondial en péril de l’Unesco. L’objectif est de prévenir des « menaces de destruction » russes sur la ville. Un panneau rappelle cette inscription à côté du musée maritime.

 

De Richelieu à Catherine II

Depuis notre passage à Odessa en août 2022, peu de choses ont réellement changé hormis la situation sur le front qui s’est fortement dégradée côté ukrainien. Il y un peu plus de deux ans, il était impossible d’accéder aux marches de Potemkine, entrée officielle de la ville depuis la mer, rendue célèbre par le film de propagande soviétique, « Le Cuirassé Potemkine ». Des points de contrôles empêchaient de se rendre sur le port, considéré comme stratégique pour l’exportation de matières premières ukrainiennes. L’armée en contrôlait son accès, protégeant les millions de tonnes de céréales, majoritairement du blé qu’il renfermait dans ses silos, mais aussi dans les cales de ses navires empêchés de sortir.

 

La statue du Duc de Richelieu, face au port, est enveloppée. ©Charles de Blondin

 

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En haut de ces 192 marches, la célèbre statue du Duc de Richelieu (1766-1822) trône toujours, mais sous une couche de protection attachée à des sacs de sable pour éviter les dégâts liés aux explosions. Le duc est l’un des fondateurs et gouverneur français d’Odessa et de la Nouvelle-Russie au XIXe siècle. Située à 200 mètres de là, la statue de Catherine II (1729-1796), impératrice de Russie, en face de l’hôtel qui porte son nom, a subi un destin différent. A la suite d’un sondage où plus de 4 000 habitants se sont prononcés pour le démantèlement fin 2022, la statue a été déboulonnée et placée dans les réserves d’un musée. Une stèle où est inscrit « Liberté pour les défenseurs d’Azovstal » remplace celle de l’ancienne princesse allemande qui a financé la construction de la ville.

 

Dix mois après le début de la guerre, la statue de Catherine II de Russie a été déboulonnée. ©Charles de Blondin

 

Cette statue qui a déjà fait couler beaucoup d’encre est lourde d’histoire et de débats au sein même de la population Odessite dont la très grande majorité est russophone. Pour les uns, elle symbolise l’impérialisme russe sur l’Ukraine, pour les autres, elle fait simplement partie de l’histoire de la création de la ville sous son règne. Enlevée en 1920 par le régime soviétique, elle a été réinstallée en 2007 en partie grâce à des financements culturels russes. Paradoxe de la guerre, les conservateurs ukrainiens protègent également ces œuvres russes des bombardements de son voisin.

 

Une politique de « dérussification »

Comme cette statue, d’autres monuments et symboles ont également été retirés dans le cadre d’un processus de « désoviétisation » commencé lors de l’indépendance du pays en 1991 et de « dérussification » à partir de 2014 lors du soulèvement de Maïdan. Une commission dont la mission est d’étudier les noms de lieux à débaptiser a même été mise sur pied, mais les monuments en lien avec cet héritage russe sont nombreux. Tout retirer reviendrait à dénaturer l’histoire de la ville.

 

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Certains lieux symboliques restent ainsi toujours en place. Le palais de la famille Voronstov, du nom du gouverneur russe de la région qui s’est illustré contre les Ottomans est toujours là, bien qu’en mauvais état, comme sa statue devant la cathédrale de la Transfiguration d’Odessa, détruite en grande partie par un bombardement russe en juillet 2023 et encore en travaux à l’intérieur. L’effigie de l’écrivain Alexandre Pouchkine devant la mairie d’Odessa reste également sur place. Il en est de même pour le monument d’Orange représentant l’empereur russe Paul Ier tenant une des milliers d’oranges envoyées par les Odessites pour le convaincre de financer la fin de la construction du port d’Odessa commencée sous Catherine II. Histoire oblige.

 

Le monument d’Orange représentant l’empereur russe Paul Ier à Odessa. ©Charles de Blondin

 

C’est également au tour de l’écriture d’être victimes des conséquences du conflit. Sur le marché aux livres du centre-ville, lieu de vie particulièrement agréable pour les flâneurs en quête de quelques ouvrages, contes et légendes, la littérature russe ne trouve plus réellement sa place. Les Tolstoï, Dostoïevski et autres grands écrivains russes sont aux abonnés absents et sont relégués au placard. Rare sont les libraires qui en vendent encore sauf à l’arrière-boutique pour quelques curieux.

 

L’Ukrainien, une langue officielle

Cette politique de « dérussification » s’est accentuée avec la loi de 2019 prévoyant que la langue ukrainienne soit la seule langue adoptée officiellement dans les administrations et les entreprises sur l’ensemble du territoire sauf la Crimée. Le russe, comme les autres langues locales, reste néanmoins une langue régionale protégée par la Charte européenne des langues régionales ou minoritaires, adoptée par Kiev en 1996.

 

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Bien qu’interdit dans les échanges publics, la langue russe reste néanmoins adoptée par différentes personnalités de la sphère politique ukrainienne parfois malgré eux simplement par facilité d’usage et de compréhension. En 2022, un rapport du Commissaire à la protection de la langue ukrainienne, Taras Dmytrovys, dénonce les personnalités qui ne respectent pas cette nouvelle loi, dont certains hommes politiques d’Odessa.

 

Dans la rue Richelieu, l’apprentissage de la langue française est mis en valeur. Derrière, un générateur alimente un commerce. ©Charles de Blondin

 

C’est le cas du maire d’Odessa, Gennady Trukhanov, qui aurait ainsi violé 11 fois la loi en communiquant en russe à des journalistes et en leur demandant de traduire dans cette langue leurs questions. Mais il n’est pas le seul. Son maire adjoint, mais aussi le directeur adjoint du département de l’Économie d’Odessa sont également pointés du doigt pour non-respect de la loi. Dans le cadre d’une interview du maire adjoint par intérim par des journalistes allemands, le traducteur a relayé des questions à l’élu en russe.

Une situation qui illustre une autre facette de cette guerre où les choix linguistiques deviennent le reflet d’une volonté d’émancipation, susceptible de se solder par une rupture définitive avec l’héritage culturel russe.

 


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