REPORTAGE – Mauritanie : sur les traces des gardiens du patrimoine
Publié le 25/06/2023
En Mauritanie, une partie du patrimoine se trouve entre les mains de collectionneurs privés. Une richesse qui se transmet parfois de génération en génération et qui ne trouve pas sa place dans des musées, faute d’infrastructure suffisante permettant de les accueillir. Un héritage que les passionnés espèrent transmettre un jour.
La notion de conservation n’est pas toujours quelque chose d’évident. En Mauritanie, la sauvegarde du patrimoine est complexe. Le sable et le vent couplés à la sècheresse font craqueler le papier des livres conservés. Les collectionneurs de patrimoine ne disposent pas d’endroits climatisés permettant de maintenir à bonne température les ouvrages. Certains utilisent même des systèmes de bassines remplies d’eau afin de maintenir un minimum d’humidité dans les pièces. Outre les conditions climatiques, il y a surtout la culture. « Dans un pays de nomades, il est difficile de garder beaucoup de choses. Les déménagements sont des incendies pour les livres » témoigne Ahmed Mahmoud Jemal Ahmedou, résidant à Nouakchott et plus connu sous le nom de « Jemal ».
Les paroles s’envolent, les écrits restent
Ancien conseiller financier en ambassade, sa passion des livres lui provient de ses parents. « Je suis né entre les livres. Dès mon enfance, j’ai appris à sacraliser tout ce qui était écrit. Mon père a insisté pour que nous lisions et que nous écrivions. Selon lui, seul le savoir nous permettait de nous émanciper » explique celui qui depuis son enfance ne jette rien. Au travers de ses voyages, il collectionne près de 10 000 ouvrages spécialisés sur la Mauritanie et le Sahel dont les fameuses histoires du Paris – Dakar. Mais la collection a un coût. « Il faut savoir concilier avec les budgets de la famille. Lorsque le salaire approchait, certains me surveillaient de près. J’ai toujours dit à mes enfants que le savoir doit primer sur l’argent ».
Passionné par l’histoire de son pays, il a souhaité mettre à disposition sa collection au tout-venant. « Je reçois la visite d’étudiants et jeunes chercheurs qui sont envoyés par leur professeur pour venir rechercher des ouvrages qu’ils ne trouveront pas ailleurs. La seule bibliothèque publique est la bibliothèque nationale mais elle ne dispose malheureusement pas de références suffisantes ». Selon lui, les personnes qui souhaitent consulter des manuscrits spécialisés, doivent obligatoirement se tourner vers les collectionneurs privés. Jemal tente ainsi d’entretenir et de centraliser un vivier de documents et livres spécialisés sur la région et librement accessibles aux personnes qui le souhaitent. « Il nous manque les infrastructures de sauvegarde nécessaires, des gens formés pour sauvegarder ce patrimoine et des centres de formations pour favoriser la transmission de notre savoir » dit-il attristé.
Un musée pour transmettre
Les rares passionnés du patrimoine ouvrent volontiers leurs portes afin de transmettre l’histoire de la Mauritanie, un pays qu’ils aiment. C’est le cas de El Khalil Ould Dah N’Tahah à Atar. Depuis 2002, le fondateur du musée historique de Touezekt écume le sol de sa ville à la recherche d’objets. « A l’époque, il était facile de trouver des objets historiques, il suffisait de se baisser » témoigne-t-il. De l’antiquité jusqu’à l’époque coloniale, il recense 6 000 objets qu’il affiche dans son musée depuis une vingtaine d’années. « Mon objectif est de faire en sorte que ma collection puisse s’intégrer dans un musée historique plus grand géré par la ville. Malheureusement, très peu de personnes s’intéressent à ce travail » se désespère-t-il.
Ce n’est pourtant pas faute d’avoir sensibilisé les nombreuses personnalités qui sont venues le voir. Les photos souvenirs qu’il n’hésite pas à mettre en avant comme un trophée et son livre d’or témoignent de ses échanges. Des ambassadeurs étrangers au président de la République, Mohamed Ould El-Ghazouani, en passant par l’ancien président de la République française François Hollande, El Khalil a accueilli de nombreuses personnalités. Son musée est une sorte de passage obligé pour toute personnalité qui souhaite se rendre dans la ville. « Ils sont tous d’accord pour que je continue et me félicitent pour mon musée. Mais cela ne va pas plus loin » dit-il attristé.
Face à ce travail de plusieurs décennies se pose la question de la pérennisation. Et là encore la difficulté est réelle. « Mes enfants ne sont pas intéressés pour reprendre et garder ce que j’ai fait ». Un témoignage qui condamne un pan de l’histoire dont la jeune génération ne s’intéresse pas suffisamment, préférant quitter la Mauritanie. Mais ce matin, à l’issue de notre passage, une classe de jeunes filles prendra notre suite dans la visite de ce petit musée. Un symbole de transmission qu’il attend désespérément. Autrefois véritable nomade dans leur propre pays, la nouvelle génération tend à une nouvelle sorte de nomadisme : celui du monde et de l’abstrait. En Mauritanie, le patrimoine est un défi du quotidien pour les collectionneurs qui parfois sont vus comme des personnages iconoclastes.
La « Dame poubelle » de Ouadâne
A Ouedane, au détour d’une porte « très fatiguée », se trouve un ensemble d’objets divers et variés qui jonchent le sol. Comme une poubelle à ciel ouvert. Un peu plus loin, un homme paraît faire du rangement. Sidi Mohamed Ould Abidine Sidi est lui aussi un passionné d’histoire. Il collectionne de tout mais surtout beaucoup de vieilles ferrailles. Dans sa ville qui accueille la célèbre « rue des 40 savants », ses surnoms sont multiples et changent en fonction de l’origine des personnes. « Les habitants me surnomment la ‘Dame Poubelle’ ou alors le ‘brocanteur’, ce que je ne suis absolument pas. Certains croient que je suis un vendeur de patrimoine mais je ne vends rien » se défend le collectionneur. « Les visiteurs occidentaux, eux, m’appellent souvent ‘la caverne d’Alibaba’ » raconte-t-il amusé. Les termes utilisés sont très révélateurs de la vision que peuvent avoir les personnes de leur histoire.
Son travail commence à porter ses fruits. « Avec le temps, les personnes commencent à comprendre l’importance de sauvegarder notre patrimoine ». Ce n’était pas chose facile à ses débuts. « Je me souviens d’avoir trouvé un casque de la police militaire française de l’époque. Les propriétaires s’en servait pour mettre le foin destiné à nourrir les ânes. La personne ne s’était pas posée la question de ce que c’était. Je l’ai racheté tout de suite ». Parfaitement francophone, Sidi Mohamed collectionne des milliers d’objets parfois vieux de plusieurs milliers d’années du paléolithique jusqu’à aujourd’hui. Plus encore, il collectionne également de vieux manuscrits dont des anciens corans vieux de plusieurs siècles qu’il est fier de mettre en avant mais dont les conditions de conservations sont « très rudimentaires ».
Il faut dire que sa collection est un véritable dépotoir qui s’étend sur 3 sites distincts. Comme les autres, la constitution de son trésor part du même principe : la volonté de conserver. « J’ai remarqué que nous avons un patrimoine magnifique particulièrement négligé » explique-t-il. « Depuis 1992, je collecte des objets que je trouve dans la région. Une petite partie provient de dons ou d’achat que je fais ». Spécialiste reconnu de son secteur, il a réalisé un stage en 1997 en Afrique du Sud sur la normalisation et l’inventaire du patrimoine africain. Au sujet de la transmission, il a créé une fondation afin que ses enfants puissent prendre la suite de ses activités et puissent pérenniser son travail. « Je les sensibilise afin qu’ils puissent comprendre l’importance de ce patrimoine pour notre histoire » témoigne le collectionneur lui aussi passionnée d’Odette de Puigaudeau « Pour les jeunes générations qui ne parlent pas spécialement français, il faudrait traduire son œuvre en arabe pour qu’ils voient le bien qu’elle a fait à notre pays » conclut-t-il.
Une difficulté de sauvegarde
Dans le but de prendre en considération ce besoin de mise en avant de l’histoire mauritanienne, le musée national de Nouakchott a ouvert ses portes en 1972. Construit par les Chinois, l’objectif de celui-ci est de centraliser et mettre en avant le patrimoine millénaire du pays. Malheureusement, lors de notre visite réalisée par le directeur du musée, Mamadou Hadya Kane, nous sommes seuls. Les deux grandes salles d’exposition permanentes (archéologie et ethnographie) n’attirent pas la foule. Sans visiteur, le musée paraît comme figé dans le temps. Une troisième grande salle d’exposition temporaire vient compléter le tout. Au travers de celle-ci l’objectif est également d’accueillir des séminaires. « Notre objectif est que le musée devienne également un lieu qui permette de se rencontrer. Cela permet de nous faire davantage connaître auprès de la population locale mais aussi auprès des personnalités étrangères. » explique le directeur.
Dans la continuité de ce musée, se déroule chaque année, le festival des villes anciennes. « Cet événement festif permet de mettre en avant le patrimoine mauritanien de 4 villes caravanières inscrites au patrimoine mondial de l’humanité (Oualata, Chinguetti, Tichit et Ouadâne) » développe M. Kane. Chaque année, le festival se déroule dans une ville différente et attire des milliers de visiteurs. Musique, exposition d’artisanat, course de dromadaires, l’événement participe ainsi au rayonnement culturel de la région. Mais la mise en place de cette politique culturelle prend du temps. Et ce même si le président de la République a créé en 2022 un prix des beaux-arts qui permet de récompenser le meilleur artiste mauritanien dans le domaine du théâtre, du cinéma, de la musique et de la peinture.
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Malgré le faible afflux de personnes dans le musée, le directeur ne lâche rien et espère ouvrir d’autres salles. « Nous avons encore de très nombreuses choses qui ne demandent qu’à être exposées dans la réserve » rassure-t-il. Un travail important pour la diffusion du patrimoine d’un pays qui est impatient de mettre en avant ses richesses historiques tenues en partie entre les mains des collectionneurs privés. « Pour le moment, la politique culturelle actuelle n’a pas mis l’accent sur un programme de fouilles. Seul 5 % des sites identifiés ont été fouillés en Mauritanie » conclut-t-il. Le plus grand défi de la Mauritanie ces prochaines années ? La lutte contre le nomadisme du XXIè siècle.
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