Site icon Billet de France

François Sureau à l’Académie française : un hommage à la liberté

L’écrivain François Sureau a fait une entrée mémorable à l’Académie française le 3 mars 2022.

L’écrivain François Sureau a fait une entrée mémorable à l’Académie française le 3 mars 2022.

Le 03 mars 2022 François Sureau, avocat aux conseils, homme de lettre, militaire et haut fonctionnaire est entré officiellement à l’Académie française. Siégeant au fauteuil laissé vacant par feu l’historien Max Gallo, l’Immortel a prononcé son fameux discours de réception.

 

Exercice de style s’il en est, la prise de parole de François Sureau fut surtout l’occasion de dire son amour de la France, de l’œuvre de Gallo et d’inviter les Français à lutter contre leur lymphatisme dans la lutte pour la protection des libertés fondamentales. Nous vous proposons ici une somme des meilleurs instants de ce discours qui, nous en sommes sûrs, marquera les siècles.

 

Sur la nécessité de défendre les libertés publiques

« Qu’on soit de Nice, de Combourg ou du boulevard Malesherbes n’y change rien. L’enfance finit toujours par s’inviter au bal des adultes, au milieu des tourments les plus vifs, et même des grandes catastrophes. Lorsque de Gaulle prononce ce faux vers : « J’invite les Français qui veulent rester libres à m’écouter et à me suivre », c’est l’enfance qui apparaît, avec son étonnement devant la démission des grandes personnes. Car ce vers suppose aussi qu’il existe, et peut-être en grand nombre, des Français qui ne veuillent pas rester libres, des hommes qui préfèrent la servitude. »

« La liberté est une étrange chose. Elle disparaît dès qu’on veut en parler. On n’en parle jamais aussi bien que lorsqu’elle a disparu. »

« La liberté selon Gallo le conduira plutôt du côté de l’éloge des frontières. Il stigmatisera durement ceux qu’il appelle « les pédagogues du renoncement », en appelant au peuple, à son histoire, à ses souvenirs, aux grandes figures du passé, contre l’Europe des bureaucrates, du marché, de l’amnésie collective. C’est là, je crois, ce qu’on appelle un « souverainiste », dont il fut l’un des premiers. »

« Le bâti, comme dit Gallo en parlant de la IIIe République, doit tenir. Or ce bâti est chez nous singulièrement fragile. Les institutions sont pourtant le seul moyen que nous ayons, sinon d’inventer immédiatement un ordre juste qui éloigne à jamais le spectre des désordres civils, du moins de nous permettre de concourir, et publiquement, à sa définition d’abord, à sa réalisation ensuite. Je ne sais ce que Max Gallo aurait pensé du moment où nous sommes, où la fièvre des commémorations nous tient, pendant que d’un autre côté le sens disparaît des institutions que notre histoire nous a léguées : une séparation des pouvoirs battue en brèche, les principes du droit criminels rongés sur leurs marges, la représentation abaissée, la confusion des fonctions et des rôles recherchée sans hésitation, les libertés publiques compromises, le citoyen réduit à n’être plus le souverain, mais seulement l’objet de la sollicitude de ceux qui le gouvernent et prétendent non le servir mais le protéger, sans que l’efficacité promise, ultime justification de ces errements, soit jamais au rendez-vous. Non, je ne crois pas que ce disciple de Voltaire et de Hugo se réjouirait de l’état où nous sommes, chacun faisant appel au gouvernement, aux procureurs, aux sociétés de l’information pour interdire les opinions qui le blessent ; où chaque groupe se croit justifié de faire passer, chacun pour son compte, la nation au tourniquet des droits de créance ; où gouvernement et Parlement ensemble prétendent, comme si la France n’avait pas dépassé la minorité légale, en bannir toute haine, oubliant qu’il est des haines justes et que la République s’est fondée sur la haine des tyrans. La liberté, c’est être révolté, blessé, au moins surpris, par les opinions contraires. Personne n’aimerait vivre dans un pays où des institutions généralement défaillantes dans leurs fonctions essentielles, celle de la représentation comme celles de l’action, se revancheraient en nous disant quoi penser, comment parler, quand se taire. En un siècle d’histoire constitutionnelle, nous aurons vu se succéder le système des partis, le système de l’État, le système du néant. Gallo l’avait pressenti. Et comme il voyait bien que nous en étions à la fin responsables, et non les seuls gouvernants, il a cru que le patriotisme, dont il s’était proposé de ranimer la flamme, nous garderait d’un tel déclin en nous rendant en quelque sorte à nous-mêmes. J’aimerais pouvoir partager cette conviction. On accorde rarement la justice avec l’ordre. L’ordre, à nos yeux, c’est l’usine et la police, le peuple qui se tait, les lois d’exception, le commerce maître de nos vies, les hiérarchies justifiées et la confusion, pour finir, des grandeurs naturelles et des grandeurs d’établissement, puisque par paresse ou par lâcheté nous inclinons à adorer, abusivement, ce qui doit être dans ce qui est. Ce n’est pas cet ordre-là que l’enfant désirait au temps de sa conscience surprise. Dans l’injustice au contraire, c’est le désordre qui a très tôt frappé Gallo, le désordre caché sous l’ordre, celui d’une maison où rien n’est à sa place mais où l’on s’accommode de tout. Gallo était ce qu’on appelle un républicain. Il faudrait décrasser ce terme qu’on emploie ces jours-ci à tout propos, au prix d’ailleurs d’une grande confusion concernant les principes. Après tout, la République, c’est aussi la colonisation sans scrupules, les bagnes d’enfants, les femmes privées de vote, la chambre du Front populaire votant les pleins pouvoirs au maréchal, la torture en Algérie et la peine de mort. Il n’y a pas de quoi se vanter. »

« Aujourd’hui que la République nous appelle moins qu’elle ne nous sermonne au long d’interminables campagnes de propagande frappées de son sceau, il se serait inquiété je crois de notre docilité. »

« Je ne crois pas que Gallo eût souscrit à cette substitution du lapin de garenne au citoyen libre que nous prépare cette formule imbécile, répétée à l’envi depuis vingt ans, que la sécurité est la première des libertés. À cette aune, pas de pays plus libre sans doute que le royaume de Staline ou celui de Mussolini. Après Rocroi, après Valmy, après Bir Hakeim, voici la sécurité, comme la ceinture du même nom, comme le rêve de l’escargot ! Max Gallo se souvenait que nos prédécesseurs avaient créé, maintenu, défendu le trésor de la liberté dans des époques autrement plus dangereuses que la nôtre. Il avait pressenti ce fléchissement de l’intelligence et de la volonté qui nous fait consentir à toutes les platitudes. Et l’on s’en va répétant que les temps sont difficiles. Mais les temps, comme Max Gallo nous l’a rappelé pendant un demi-siècle, sont toujours difficiles pour ceux qui n’aiment pas la liberté. »

 

Sur la justice

« Ces navrantes sessions de la justice pénale où le président, reconstituant la vie de l’accusé, le décrit comme voué de toute éternité au bagne à raison de telle faute commise naguère dans la cour d’école. »

 

Sur la littérature et l’Académie

« L’un des premiers je crois avant Proust, dans son discours de réception, le 29 janvier 1846, Vigny a relevé l’étonnant contraste entre la solitude de l’écrivain, ce silence et cette patience sans lesquels il n’y a pas d’œuvre, et le bruit des réceptions, tambour des gardes et murmure du grand monde. Et Vigny de s’en réjouir, peut-être par politesse. Étant enfin reçu, on ne va pas cracher sur les parquets, ni se plaindre que l’auteur efface l’œuvre. »

« Peut-être votre Compagnie sera-t-elle le dernier endroit où tenir une conversation civilisée entre personnes que tout ou presque sépare, la religion, la couleur de la peau, les préférences sexuelles, le genre, les affiliations politiques, les domaines d’élection, les conceptions esthétiques ou morales, tout sauf l’essentiel, qui est que cette conversation, inlassablement poursuivie à travers les siècles, est, sinon notre âme même, du moins ce qui la rend sensible et digne d’être aimée, par nous et par d’autres que nous. Que cette conversation soit parfois dure et même hargneuse ajoute à son charme. J’aime l’Académie pour ses admis, pour ses exclus, pour ses refusés, pour les controverses auxquelles elle a donné lieu par ses choix, parce qu’à chaque fois quelque chose s’est noué à propos de cette institution qui me semble digne d’être maintenue, aujourd’hui que l’on ajouterait simplement sur un écran un « like » à l’appel du 18 Juin, ce qui dispenserait d’aller à Londres, ou même à Bordeaux pour refuser de voter les pleins pouvoirs à l’un de vos anciens confrères. »

« Répondre à l’injustice est une affaire personnelle. C’est sans doute la raison pour laquelle dans cette œuvre une grande place est laissée à ceux qui nous y encouragent, les écrivains, qui ne sont par nature ni du côté de ceux qui ne peuvent s’exprimer – les gouvernés –, ni du côté de ceux qui ne veulent pas entendre – les gouvernants. »

« Dans son Tableau de Paris, Louis-Sébastien Mercier prévoit, en 1788, que vers 2440 les moines vont disparaître, mais que les membres de l’Académie deviendront des chartreux et vivront dans la solitude et la contemplation. Il nous reste quatre cent vingt ans pour apprendre à nous taire, ce qui est peu. »

 

Sur la France

« Lavisse, qui, requis par l’impératrice Eugénie de lui enseigner l’histoire de France et sommé par elle de la résumer en une phrase, avait répondu : « Madame, ça ne s’est jamais très bien passé. » »

« Nous connaissons en moyenne une révolution, franche ou larvée, tous les soixante ans depuis plusieurs siècles. Les juges américains et anglais se servent de textes qui datent du XVIIe ou du XVIIIe siècle pour définir les droits du citoyen. Chez nous, chaque nouveau gouvernement ou presque, non content de réformer le Code pénal tous les dix-huit mois, prétend améliorer la Déclaration des droits. Et par bien des côtés, la France ressemble à une immense cour de justice criminelle où l’alternance au pouvoir permet simplement aux protagonistes d’échanger leurs rôles, procureur, juge, jurés, défenseurs et publics. »

« Mais [Max Gallo] n’a jamais fait de la France une idole peinte, pas même aux couleurs de ses préférences personnelles. Il ne l’a jamais vue comme un musée, mais comme la terre des aventures rédemptrices. »

« La France est, comme on dit, judéo-chrétienne, mais elle est autre chose aussi. Elle est républicaine, mais elle est autre chose aussi. Si l’on ne peut demander à un conclave de préfets de la définir, c’est qu’elle est non un camp de rétention, mais une porte ouverte jusqu’à l’infini ; un mouvement où le passé se renouvelle sans cesse dans un mélange à la composition indéfinissable où il entre autant d’acceptation que de défi. »

« Il avait compris, ce dont on ne le louera jamais assez, que la France comme la liberté s’échappent quand on veut les saisir. »

« Certes la France n’est pas une gare de triage. Mais elle n’est sûrement pas un lac immobile peuplé de fantômes. »

« Hugo poursuit, dans un passage que Gallo a fait sien : « C’est à mon sens une volonté de la Providence que la France ait toujours à sa tête quelque chose de grand. Sous les derniers rois, c’était un principe ; sous l’Empire, ce fut un homme ; pendant la Révolution, ce fut une assemblée. » »

 

Sur les historiens et sur Gallo

« Mais les historiens engagés sont en général insensibles à la douleur des adversaires, d’ailleurs disparus et inconnus d’eux, qu’ils se sont donnés dans le confort de leur cabinet. Ils pleurent selon leurs préférences. »

« Ma vie a passé, écrit Gallo, et selon les jours, je m’accable ou je m’absous. »

« La politique ordinaire a paru à Max Gallo transmettre la bassesse à la manière d’un virus, corrompant de proche en proche tous ceux qui en vivent, la presse comprise bien sûr, puisqu’en France elle entretient depuis longtemps avec le pouvoir – pour le blâmer ou le louer d’ailleurs – un coupable sentiment de proximité. Et de nous montrer Pierre Lazareff, l’une des gloires du temps, publiant en une de France-Soir une fausse nouvelle sur le décompte des voix du référendum de 1969, à seule fin de prendre rang parmi les premiers journalistes à donner des gages à Georges Pompidou. »

« Voici nos grandes figures prises à leur source, dans une sorte d’anti-Panthéon, révélées à nous comme un gage de jeunesse et peut-être d’espérance : Richelieu à Luçon, en terre protestante, surmontant l’accablement qui le gagne à contempler, écrit Gallo devenu soudain disciple de Freud, « les paysages de son enfance, ces étendues mamelonnées crevées d’étangs boueux » ; Bonaparte à Autun, renfermé dans une solitude « où se mêlent fierté d’enfant humilié et amertume de vaincu » ; et même de Gaulle, qu’on croirait né de toute éternité sur le bord heureux de la légende et qui ne l’était pas, lui le fils d’une sorte de régent de collège, qui appartenait à ce monde catholique et monarchiste qui cessait pour toujours, dans les années de sa jeunesse, de détenir non seulement le pouvoir, mais le privilège de représenter l’ancienne France, dont la République allait reprendre l’héritage. Chacun de ces caractères s’est formé dans l’humiliation. Max Gallo en avait fait l’expérience à Nice. Il a longuement cité à ce propos dans ses mémoires le titre de Dostoïevski. Les héros dont il parle, peut-être avait-il un instant rêvé de suivre leurs traces. Il a choisi de les reconstituer, et dans cet exercice d’offrir une issue à une difficulté d’être qui n’est pas seulement commune à tous ceux qui sont nés, d’une manière ou d’une autre, au-delà des frontières, mais ont pu se sentir étrangers chez eux, méprisés, ignorés par un sentiment dominant d’autant plus cruel qu’il est injustifiable. »

 

Sur la politique

« Les hommes politiques, qu’ils soient coiffés d’une couronne ou d’un chapeau mou, ont toujours par quelque côté « les manières du monde et les mœurs de la roulette », comme le disait Hugo en parlant de Morny. »

 

Sur la foi

« C’était en mars 2001, à Saint-Sulpice, sur la place même où trente ans auparavant, dans le petit bureau où il travaillait, on lui avait appris le suicide de sa fille de seize ans. Elle s’appelait Mathilde et il ne l’avait pas fait baptiser. Ni son père ni sa mère n’avaient souhaité qu’elle vînt au monde. Bien plus tard, il était revenu à Saint-Sulpice pour assister à un baptême. Il avait alors près de soixante-dix ans. Il avait écrit, jusque-là, dit-il, « livre après livre comme on élève un parapet, comme on se ménage un abri. Je ne me souvenais plus d’avoir délibérément évoqué la foi, la religion de tant d’hommes, ou dessiné la figure de Dieu. Mon ciel était vide. »

 

Les inclassables

« Peut-être la nostalgie est-elle le luxe de ceux qui n’ont pas assez souffert, et qui s’en servent pour se donner du chagrin. »

« Max Gallo ne s’est pas résigné. Alfred Capus, qui a, lui aussi, siégé au 24e fauteuil, résumait drôlement la plus terrible de nos tentations en disant : « En somme, les difficultés ne cesseront que le jour où nous en aurons pris l’habitude. » Nous n’en sommes pas loin, nous qui semblons assister avec un fatalisme à peine mêlé de révolte à l’abaissement de nos ambitions. »

Et surtout « A l’immortalité » !

 


Vous avez apprécié l’article ? Aidez-nous en faisant un don ou en adhérant

Quitter la version mobile