Le thème de la santé et de la sécurité au travail n’aura sûrement jamais autant été au cœur de l’actualité qu’au cours de cette pandémie de Covid-19. Cette crise est l’occasion de revenir sur les autres dimensions de la protection des salariés dans des secteurs d’activité exposés par nature à d’importants risques. Du BTP à l’énergie en passant par l’industrie, certaines entreprises leaders dans leur secteur veulent aujourd’hui l’être également dans la protection de leurs salariés. Au cœur des enjeux : la préservation de leur capital réputation, humain, et financier.
D’après le rapport annuel 2018 de sinistralité publié par l’assurance maladie, 651 103 accidents du travail ont été reconnus cette année, soit 34 accidents du travail pour 1 000 salariés. 551 personnes sont même décédées du fait de ces accidents. Ces chiffres ainsi que plusieurs affaires qui ont fait grand bruit pressent les pouvoirs publics et entreprises à se mobiliser afin de mieux assurer la sécurité des travailleurs.
Derrière les notions de santé et de sécurité au travail se cachent des situations hétéroclites – maladie du travail, accident du travail, accident de trajet – qui ouvrent chacune droit à une reconnaissance et à une réparation distincte. Pour autant, l’impact humain, financier et réputationnel de la santé et de la sécurité au travail peut se révéler très lourd pour les entreprises, a fortiori dans les secteurs d’activité particulièrement accidentogènes.
Le rapport de l’assurance maladie précité rappelle ainsi que parmi les trois risques responsables d’une majorité d’accidents du travail et de maladies professionnelles figurent les risques chimiques et les chutes dans le BTP. Ce dernier secteur est l’un des plus sinistrés, avec 56 accidents du travail enregistrés pour 1 000 salariés et plus de 6 millions de journées de travail perdues en 2018. Le coût, direct et indirect, des accidents du travail et des maladies professionnelles du secteur est estimé à 5 % du coût des ouvrages bâtis. Bien que dépourvus de statistiques officielles, les secteurs de l’énergie et de l’industrie sont également particulièrement concernés, comme l’illustre par exemple la série d’accidents du travail qui a touché le sidérurgiste ArcelorMittal en 2015.
Le phénomène est malheureusement ancien et un grand acteur du secteur de la construction comme Eiffage a mis en place tout un système de prévention des accidents avec pour objectif affiché « zéro mort ». Eurovia, essaye également d’englober tous les risques inhérents à ses activités en donnant à ses opérateurs des équipements obligatoires de protection et en allant plus loin aussi avec des vêtements filtrant les rayons UV, des marteaux absorbeurs d’inertie ou encore des engins lourds équipés de caméras. Désormais, les professionnels de la construction et de l’industrie établissent des stratégies pensées et résolument actives en matière de prévention.
Une prise en compte des accidents du travail intégrée à la stratégie d’entreprise
Epinglé pour avoir essayé de dissimuler des accidents du travail, EDF a été confrontée à une couverture médiatique désastreuse et de potentielles actions en justice coûteuses. L’énergéticien a alors radicalement changé de braquet et fait de la prévention des risques et de la protection des salariés, un véritable pilier de sa stratégie. De poste de coût, la prévention des accidents du travail s’est transformée tant auprès du public que de ses collaborateurs. L’entreprise fait aujourd’hui du « développement humain » un des six objectifs de responsabilité d’entreprise de son projet stratégique CAP2030, au même titre que la lutte contre le changement climatique ou la promotion de l’efficacité énergétique.
Le groupe se fixe pour objectif d’être une référence en matière de santé-sécurité, via deux priorités : éradiquer durablement les accidents mortels dans le groupe et préserver la santé et la sécurité de l’ensemble de ses salariés, sous-traitants et parties prenantes. EDF adopte donc une interprétation extensive de la santé et de la sécurité au travail, qui inclut ses prestataires et sous-traitants, et a notamment inclus la prévention des pratiques addictives dans son champ d’action.
Chez ArcelorMittal également, les leçons semblent avoir été tirées de la série noire d’accidents du travail mortels survenue en 2015. Les usines du sidérurgiste avait compté trois accidents mortels, terni l’image du groupe et ouvert une procédure judiciaire. Le volet santé et sécurité au travail s’inscrit dorénavant dans le plan de vigilance d’ArcelorMittal en France, et vise l’objectif de zéro accident, dommage corporel ou maladie professionnelle. Parmi les mesures prises, le lancement du programme de formation « Take Care », dédié à la détection des risques et organisé durant une vingtaine de jours répartis sur plusieurs années.
ArcelorMittal organise également des journées dédiées à la santé et à la sécurité à l’occasion de la fête du travail. Organisées pour plusieurs milliers de ses collaborateurs sur le site de Fos-sur-Mer (Bouches-du-Rhône), ces journées sont l’occasion pour l’entreprise de présenter à ses collaborateurs les équipements de sécurité (gilets rafraîchissants, tenues haute visibilité…) développés pour faire face aux spécificités du métier, et de rappeler les bonnes pratiques. Une manière d’assurer le même niveau de vigilance pour l’ensemble des collaborateurs du groupe, et de tourner la page d’une annus horribilis sur le plan humain et médiatique.
2020 pourrait bien être une annus horribilis pour le constructeur d’avions, d’équipements et de systèmes aéronautiques, Daher. L’entreprise familiale a récemment dépassé le statut d’entreprise de taille intermédiaire (ETI) grâce à de nouveaux contrats et embauches, mais la crise qui frappe l’aviation pourrait revoir les plans d’un acteur qui a fait des efforts importants pour assurer la sûreté de tous ses salariés. Répartis sur plusieurs sites, ils travaillent pour beaucoup dans des conditions dangereuses avec des produits extrêmement lourds qu’il faut travailler et déplacer dans un environnement bruyant. Cela est particulièrement vrai sur le site de Maville (Loire-Atlantique), racheté en 2013 par l’entreprise familiale et qui a dû être repensé afin d’assurer une sûreté optimale pour ses salariés. Un programme autour de quatre axes (risque chimique, chute de hauteur, circulation et déplacement, conditions de travail/ergonomie et culture sécurité) a été mis en place dès 2015 et un réel succès.
Dans le BTP, la « sécurité par le design » au service de la protection des ouvriers
Grand pourvoyeur d’accidents du travail, le BTP cherche des solutions pérennes que certains acteurs ont peut-être déjà trouvé. Le spécialiste français du préfabriqué béton, KP1, a mis en place un coordinateur de prévention et de sécurité dans chacune de ses principales usines, lequel vient renforcer le poste de responsable qualité, sécurité et environnement (RQSE). Cette prise de conscience déjà ancienne et sans cesse renouvelée a permis d’éviter des drames et des affaires dans lesquelles le secteur du BTP s’est parfois enfoncé et dont il n’est pas à l’abri. Les relais de prévention mis en place par KP1 sont à l’origine de la création de l’organisation mensuelle de « quarts d’heure sécurité », lesquels se tiennent aussi après tout accident, sur tous les sites, ou de la mise en place de fiches standardisées des postures de sécurité à adopter sur les outils et produits du groupe.
Au-delà de l’aspect prévention, KP1 l’une des rares entreprises du BTP à déposer des brevets, mise sur la sécurité par design de ses produits. La société intègre par exemple à ses prédalles, poutres et prémurs des inserts de sécurité, permettant une manipulation et un montage sécurisés de ces éléments potentiellement dangereux à manipuler. Parmi les autres innovations relevant de cette sécurité par le design : le lancement d’une gamme de dalles disposant d’inserts pour l’insertion facile des garde-corps et de planchers intégrant des éléments antidérapants. Les usines du groupe sont également outillées de machines d’aide mécanique à la manutention, permettant de limiter les risques de troubles musculo-squelettiques pour les ouvriers manipulant des charges lourdes.
Cette volonté de prévenir les risques et les accidents constitue un poste de dépenses conséquent. Ces innovations techniques et managériales suscitent une véritable adhésion des salariés et renforce ainsi la compétitivité du groupe dans un secteur où le turnover est souvent important et empêche d’acquérir les bons réflexes en termes de prévention. Quel que soit le secteur, la confiance des salariés est synonyme d’un travail plus abouti et de qualité. Les entreprises ont donc tout intérêt à veiller à la sécurité et aux bien-être de leurs salariés et prestataires.