Spatial : la France dans la (nouvelle) guerre des étoiles
Publié le 22/11/2021
Les signes de militarisation de l’espace montrent une nouvelle guerre des étoiles se dessiner. Durant les années du président américain R. Reagan (1981-1989), l’expression a fait florès. Quarante ans plus tard, les passions pour le domaine spatial agitent de nouveau les Etats dont la Chine par exemple qui est animée par deux objectifs: l’exploitation des ressources dans l’espace et « l’arsenalisation » de l’espace. Des défis que la France a bien saisis.
L’espace est un enjeu stratégique. Les mots du général Christophe Gomart dans un entretien accordé dans le journal Le Monde le 8 octobre 2021, ne font que confirmer cet enjeu : « Tout peut dégénérer, même si la vraie menace de demain, à mon sens, est avant tout cybernétique et dans le domaine spatial. » Dans cet objectif de suivre cet enjeu stratégique contemporain, la France a placé en orbite, le samedi 23 octobre dernier, un satellite de communication militaire. Ce lancement marque à la fois l’avancée technologique et stratégique de la France dans le domaine spatial, et également une garantie de sa souveraineté. Ce satellite 4A du programme Syracuse permettra aux armées françaises déployées aux quatre coins du globe de communiquer à haut débit en permanence et en toute sécurité depuis des relais au sol, aériens, marins et sous-marins. Outre l’avancée technologique de l’Armée française, cette étape illustre également les tensions géopolitiques dans le monde. Celles-ci s’exportent désormais jusque dans l’espace.
La France et l’espace
La France s’est lancée dans cette ruée vers l’espace en suivant quatre impératifs : le guidage, la télécommunication, le positionnement, et le renseignement. La France a développé tardivement des applications spatiales militaires. Or, depuis les années 1990, elle a considérablement rattrapé ce retard. Par ailleurs, en l’espace de 4 ans, la France a pu moderniser l’ensemble de son arsenal spatial.
Tout d’abord, les télécommunications militaires spatiales françaises ont évolué vers plus d’indépendance. En effet, elles étaient prises en charge dans un premier temps par des équipements de télécommunications spécialisés emportés par des satellites de télécommunications civils nationaux de la série Telecom nommé Syracus 1 et 2 lancés entre 1984 et 1996. Il est à noter que pour le programme Syracus 2, la propriété exclusive n’appartenait plus à France Telecom mais à la Direction Générale de l’Armement (DGA) qui en était propriétaire, et qui avait le droit de participer aux décisions des déplacements des satellites. Enfin, les satellites sont devenus la propriété exclusive de l’armée en 2005 avec la série Syracus 3. Ce dernier se compose d’un satellite lancé en 2006 et de deux satellites développés en coopération avec l’Italie. Cette capacité est complétée par les satellites militaires franco-italiens Siracal 2 (38 % de la capacité réservée pour la France, lancé en 2015) et Athéna-Fidus (2014). Aujourd’hui, nous sommes à l’étape de la quatrième génération de satellite avec le programme Syracuse 4 et le lancement du satellite 4A.
Dans le domaine du renseignement d’origine électromagnétique, la France a développé de petits prototypes. Ce sont d’abord les petits satellites Clémentine (lancement en 1994) et Cerise (lancement en 1995) puis les constellations Essaim (lancement en 2004) et Elisa (2011). Le premier système opérationnel CERES constitué d’une constellation de trois satellites, doit être déployé prochainement (mi-novembre 2021. Les grandes puissances spatiales disposent de satellites d’alertes avancés permettant de détecter le lancement de missiles balistiques. La France n’a développé jusqu’à présent dans ce domaine qu’un prototype constitué de deux satellites SPIRALE lancés en 2009 et dont la mission s’est achevée en 2011.
La France face aux enjeux contemporains de l’espace
Le premier enjeu est relatif à la protection des engins spatiaux, notamment les satellites. A ce titre, Syracus 4A est l’exemple de cet accomplissement technologique. « Syracuse 4A est conçu pour résister aux agressions militaires depuis le sol et dans l’espace ainsi qu’au brouillage », a expliqué le colonel Stéphane Spet, porte-parole de l’armée de l’Air et de l’Espace. Il est équipé de moyens de surveillance de ses abords proches et d’une capacité de déplacement pour échapper à une agression. Un risque réel : en juillet 2020, le commandement spatial américain avait accusé Moscou d’avoir « conduit un test non-destructeur d’une arme anti-satellite depuis l’espace ».
Ultime performance, S4 est protégé contre les impulsions électromagnétiques qui résulteraient d’une explosion nucléaire, explique Marc Finaud, expert en prolifération des armes au Centre Politique de Sécurité de Genève (GCSP). « C’est le scénario de l’ultime avertissement, en cas d’échec de la dissuasion » annonce-t-il. Le programme Syracuse représente un investissement total de 4 milliards d’euros. La quatrième génération multipliera par trois le débit de communications de S3. La DGA s’est engagée avec Thalès à hauteur de 354 millions d’euros et avec Airbus pour 117 millions d’euros pour ce programme.
La course aux armements et le risques des hackers
Aujourd’hui, la France fait face à des enjeux de modernisations qu’elle parvient à surmonter, comme le prouve le lancement de Syracus 4. En revanche, on assiste également à une course aux armements dans ce domaine à laquelle il est stratégiquement nécessaire de rester. Les mots de Xavier Pasco, directeur de la Fondation pour la Recherche Stratégique (FRS) en témoignent : « Politiquement, c’est la mise en évidence que la France reste une puissance peut-être moyenne, mais dont l’étendue d’action reste internationale ». En outre, avec ses deux milliards d’euros d’investissements annuels dans le spatial militaire et civil, l’Hexagone reste loin du trio de tête. Néanmoins, elle reste toujours dans la course : 50 milliards pour les Etats-Unis, 10 pour la Chine et 4 pour la Russie, selon des chiffres de 2020 du gouvernement français.
Ainsi, le satellite S4 permet à la France de rester dans le peloton de tête et confirme que Paris participe bien à la course aux armements. Cependant, un autre enjeu relevant des problématiques plus complexe a fait son apparition. Ce dernier consiste à anticiper de nouvelles menaces au sein du secteur spatial. Le problème ? Personne ne connaît le scénario exact d’une guerre spatiale. Marc Finaud évoque au passage le risque potentiel venant de la « nébuleuse de hackers, pirates, acteurs criminels ou terroristes qui pourraient se lancer dans une sorte de guerre des étoiles plus artisanale ». Quant à la géopolitique spatiale, elle se tend un peu plus chaque année. « On parle de guerre spatiale et ce risque-là est admis par tout le monde » prévient-il.
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